Ce que recouvrent les comportements à risque à l’heure du numérique

Parler de « comportements à risque » ne se limite pas à la consommation d’alcool, de tabac ou de drogues. Les réseaux sociaux amplifient aussi la visibilité d’autres pratiques :

  • Jeux d’argent en ligne
  • Prises de risques routiers (ex. participation à des « rodéos urbains » filmés sur Snapchat)
  • Défis viraux (challenge dangereux)
  • Partages de contenu à caractère sexuel (nudes, sexting)
Plus que jamais, ces pratiques s’entremêlent, parfois en marge d’une fête, mais souvent poussées par le désir de visibilité, de reconnaissance… ou sous la pression du groupe.

L’omniprésence des réseaux sociaux : un miroir déformant ?

En France, 84% des 16-24 ans sont actifs sur au moins un réseau social (Médiamétrie, 2023). Les contenus partagés sont filtrés, choisis pour leur potentiel viral. Or, ils donnent souvent une image biaisée de la réalité :

  • Surreprésentation des situations festives où l’alcool ou d’autres substances circulent
  • Valorisation de la « prise de risque » à travers des likes, des partages, ou des commentaires admiratifs
  • Construction d’une norme sociale : « tout le monde le fait »

On sait que la perception qu’un comportement est majoritairement adopté dans son entourage favorise l’envie d’imiter. Ce phénomène porte un nom : l’influence normative. Selon une étude conduite par l’OFDT, 67% des jeunes interrogés pensent que leurs amis boivent plus qu’eux en réalité (source : OFDT, « Usages de substances psychoactives à l’adolescence », 2023).

Quand l’algorithme amplifie les comportements à risque

Les réseaux sociaux reposent sur des algorithmes qui sélectionnent et mettent en avant certains contenus au détriment d’autres. Plusieurs conséquences documentées :

  • Effet « bulle » : un jeune qui regarde souvent des vidéos sur des fêtes alcoolisées en verra davantage, renforçant l’idée que c’est la norme.
  • Challenges dangereux : certains défis, comme le « Benadryl Challenge » ou le jeu du foulard, ont connu une viralité internationale, parfois avec de graves conséquences (source : Le Monde, 2021 ; Santé publique France).
  • Normalisation par répétition : ce que l’on voit souvent paraît plus acceptable.

Les plateformes réagissent (suppression de contenus, avertissements…), mais souvent a posteriori. Les messages de prévention, eux, ne bénéficient pas du même élan algorithmique.

L’impact sur les perceptions et l’estime de soi

Voir ses pairs publier des contenus valorisant la prise de risque peut jouer sur l’estime de soi, avec plusieurs effets observés :

  • Sous-estimation des dangers réels (parce que “tout le monde s’en sort” sur Instagram)
  • Pression à « faire pareil » pour ne pas paraître « ringard » ou en marge du groupe
  • Augmentation de la frustration ou du mal-être en cas de sentiment d’exclusion (FOMO : Fear Of Missing Out)

Selon l’INSERM, 43% des adolescents déclarent avoir déjà ressenti de la pression à imiter ce qu’ils voient en ligne (source : Inserm, « Adolescents et réseaux sociaux », 2022). Cette dynamique de comparaison sociale est encore amplifiée chez les plus jeunes utilisateurs, pour qui la référence au groupe est centrale dans la construction de l’identité.

Comportements à risque et récit d’expériences : quand la frontière s’efface

Beaucoup de témoignages circulent sur les plateformes. Parfois, ils relatent une « première fois » (alcool, cannabis, vape) de façon banale ou positive ; parfois, ils mettent en avant le regret ou les conséquences négatives. Mais certains formats, très en vogue, banalisent sans nuance :

  • « Storytime » sur TikTok ou YouTube, où l’on raconte ses expériences à la première personne
  • Tutoriels (ex : « comment rouler un joint », « mes astuces pour boire sans être malade »)
  • Vlogs de soirées, souvent filmés avec humour

Ce type de contenu brouille la frontière entre information, divertissement et prescription implicite. Les jeunes, surtout les plus vulnérables, y voient parfois des modèles ou des sources d’inspiration… sans le recul nécessaire.

Chiffres clés : ce que disent les données récentes

Pratique Exposition sur les réseaux Impact
Consommation d’alcool 70% des jeunes de 15-18 ans ont déjà vu des proches poster des images festives avec de l’alcool (Sondage OpinionWay, 2022) 30% voient une incitation à consommer dans ces partages
Défis dangereux Plus de 1 collégien sur 5 a entendu parler d’un défi à risque via internet (Association e-Enfance, 2023) Les garçons déclarent plus de participation active, les filles plus d’exposition passive
Jeux d’argent en ligne 39% des 11-17 ans déclarent avoir vu une publicité pour des paris sportifs sur Snapchat ou Instagram (ANJ, 2023) 23% ont essayé au moins une fois, souvent après exposition à ces contenus

Pourquoi cette exposition impacte-t-elle davantage les adolescents ?

Le cerveau adolescent est particulièrement sensible aux gratifications immédiates et à la reconnaissance sociale. Selon le rapport « Adolescence et comportements à risque » de l’INSERM (2019), il existe une hypersensibilité aux réactions du groupe, qui se traduit ainsi :

  • Plus grande appétence pour la nouveauté
  • Sous-évaluation des conséquences négatives
  • Besoin affirmé de faire partie d’un collectif, quitte à suivre le mouvement

En ajoutant la pression des réseaux, où chaque action ou image peut être commentée, partagée et jugée, on comprend pourquoi la banalisation est plus rapide et profonde à cet âge.

Les effets sur la prévention et les stratégies d’intervention

Face à ces constats, les réponses doivent être adaptées au monde connecté :

  • Démystifier : expliquer que les images en ligne ne reflètent qu’une partie de la réalité, et que les expériences blessantes ou dangereuses sont moins partagées.
  • Former au décryptage : permettre aux jeunes de mieux identifier la publicité déguisée, les discours « cool » qui cachent parfois des stratégies commerciales (notamment autour des jeux d’argent ou de la vape).
  • Valoriser les contre-modèles : promouvoir d’autres formes de réussite sociale, d’humour, ou de courage, qui ne passent pas par la prise de risque.
  • Écouter et dialoguer : créer des espaces où les adolescents peuvent exprimer ce qu’ils voient et ressentent, sans jugement.
  • S’appuyer sur les pairs : proposer des interventions de jeunes pour les jeunes, qui comprennent leurs codes et leurs attentes.

En Normandie, des actions comme #LaVéritableSoirée (pilotée par l’ARS et l’IREPS Normandie) utilisent Instagram et Snapchat pour diffuser des messages authentiques et interactifs, avec des témoignages et des quiz adaptés aux réalités locales.

Comment les adultes peuvent accompagner sans dramatiser

Les familles, éducateurs, professionnels de santé et d’éducation ont un rôle clé à jouer :

  • Adopter une posture de dialogue, non de contrôle systématique
  • Aborder les réseaux sociaux comme un espace d’expériences, pas toujours risqué mais à « apprivoiser » ensemble
  • Poser des questions (« Qu’as-tu pensé de ce challenge ? » ; « Comment tu te sens quand tu vois ces photos ? ») plutôt que d’interdire ou de moraliser d’emblée
  • Échanger sur le vécu, la pression éventuelle, et valoriser les compétences de résilience et de recul

Ouvrir la discussion sur la représentation de soi, la pression sociale et le choix de ne pas suivre le groupe permet aussi d’aborder d’autres questions liées au bien-être et à l’estime de soi.

Ressources pour agir et aller plus loin

  • Fil Santé Jeunes : www.filsantejeunes.com (conseils, tchat, témoignages autour de la santé et des addictions)
  • e-Enfance : www.e-enfance.org (accompagnement parental et jeunes sur l’usage du numérique et la prévention des risques)
  • ORS Normandie – Baromètre santé des jeunes : analyse régulière des comportements de santé régionaux, disponible sur www.ors-basse-normandie.org
  • Service d’Accompagnement et de Prévention des Addictions (SAPA) : pour sensibiliser en milieu scolaire ou extra-scolaire, via des professionnels spécialisés (voir contacts sur le site de l’ARS Normandie)

Perspective : accompagner une génération connectée sans l’isoler

Les réseaux sociaux peuvent être des leviers de prévention puissants, à condition de les investir sans naïveté ni crispation. Mieux outiller les jeunes à faire la part des choses, donner la parole à ceux qui vivent des situations de pression, et encourager la solidarité… autant d’outils pour éviter que la banalisation ne rime avec danger. La prévention, c’est aussi accepter l’ambivalence : les réseaux sociaux exposent autant qu’ils relient, ils banalisent mais permettent aussi l’entraide et les messages positifs. À chacun – parents, éducateurs, professionnels – d’y trouver sa place pour soutenir, accompagner, et donner à nos jeunes les clés d’un usage réfléchi et protecteur.

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