Les jeunes, premiers concernés par l’exposition en ligne

En France, 93 % des 12-17 ans possèdent au moins un compte sur un réseau social (ARCEP, baromètre du numérique 2023). TikTok, Instagram et Snapchat captent à eux seuls chaque jour plusieurs heures d’attention. Cette immersion massive n’est pas neutre. Les adolescents y rencontrent des contenus variés, mais aussi des défis, des messages banalisant ou glorifiant certaines prises de risques : consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis, jeux dangereux, défis alimentaires, expositions sexuelles, self-injury, etc.

Une enquête de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES, EnCLASS 2022) souligne qu’un jeune sur cinq (19 %) dit avoir déjà été incité via les réseaux à essayer une substance, un produit ou une pratique dangereuse (notamment des défis de type "challenge"). Les réseaux n'inventent pas les prises de risques, mais ils en modifient l’envergure et l’accessibilité.

Mécanismes à l’œuvre : viralité, pression du groupe, normalisation

1. L’algorithme, moteur d’exposition

Les algorithmes des grandes plateformes sélectionnent et relaient les contenus jugés les plus "engageants", c’est-à-dire ceux qui génèrent beaucoup de réactions et d’interactions. Les vidéos de défis ou de comportements extrêmes, souvent spectaculaires, bénéficient d’une amplification rapide, touchant des millions de jeunes en quelques heures. En 2022, le "Blackout challenge" sur TikTok a provoqué au moins 15 décès d’enfants et d'adolescents à travers le monde (BBC, juin 2022).

  • Effet "boule de neige" : Un défi vu ici ou là est repris, transformé, diffusé massivement, devenant une norme temporaire dans certains groupes d’internautes.
  • Répétition : À force de voir certaines pratiques, la frontière entre comportement atypique et pratique courante s’estompe.

2. La pression sociale renforcée

Avant même les réseaux, la recherche d’appartenance et la pression de groupe influençaient les conduites chez les adolescents. Mais dans l’univers numérique, cette dynamique prend une autre ampleur :

  • Visibilité publique : Les actions sont filmées, photographiées, partagées, commentées. L’évaluation par les pairs se fait au vu de tous, augmentant l’envie de plaire, d’être spectaculaire ou "dans la tendance".
  • Phénomène de la "comparaison sociale" : Les jeunes se comparent systématiquement à ce qu’ils voient, ce qui peut intensifier la pression à reproduire un comportement populaire.

3. Normalisation et banalisation

La répétition d’images ou de récits liés à l’alcool, au binge drinking, au vapotage, ou aux jeux dangereux crée une impression de banalité, voire d’innocuité, de ces pratiques. Un rapport du CSAPA Université Paris-Saclay (2021) montre que 66 % des lycéens interrogés trouvent "normal" de voir des photos de soirées très alcoolisées sur Instagram.

Typologie des comportements à risque relayés et amplifiés

Les contenus à caractère risqué sont multiples. Voici ceux qui reviennent le plus souvent selon les études nationales et européennes (ESPAD, Insee, Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies):

  • Consommation de substances : Partages de vidéos montrant la consommation d’alcool "cul sec", le vapotage de nicotine à forts dosages ("puff bars"), ou encore le "snorting" de poudres (farine, sucre, puis parfois substances illicites).
  • Jeux dangereux : "Défis" invitant à se faire des blessures superficielles ("Blue whale challenge"), à provoquer la perte de connaissance, ou à avaler des produits potentiellement dangereux (gélules de lessive).
  • Prises de risques sexuelles : Partage d’images dénudées, sollicitations à l’envoi de "nudes", incitations à participer à des actes filmés et diffusés à l’insu des intéressés ("revenge porn").
  • Comportements alimentaires : Groupes valorisant des pratiques extrêmes (jeûne prolongé, régimes dangereux, encouragements à l’anorexie ou à la boulimie).
  • Automutilations et comportements autodestructeurs : Témoignages filmés ou échanges sur des forums à propos de l'automutilation, parfois perçus comme des moyens de gestion du stress ou d'obtention de reconnaissance sociale.

L’exposition ne signifie pas forcément passage à l’acte

Il est crucial de rappeler qu’être exposé à du contenu à risque ne conduit pas nécessairement à l’imiter. Les différentes enquêtes menées en France (OFGT, Santé publique France) et dans le monde indiquent que si près de la moitié des adolescents déclarent avoir déjà vu des contenus à risque sur les réseaux, moins de 10 % déclarent avoir reproduit un défi dangereux découvert en ligne.

  • Les facteurs de passage à l’acte sont multiples : vulnérabilité psychologique, isolement, recherche de sensations, influence du groupe d’amis, absence de dialogue éducatif.
  • Ainsi, la prévention ne doit pas se limiter à la simple interdiction ou censure, mais passer par une éducation au discernement face à l’information numérique.

Usages numériques, inégalités et facteurs de vulnérabilité

L’exposition et la sensibilité aux comportements à risque ne sont pas réparties uniformément. Certaines inégalités ressortent :

  • Genre : Les garçons sont davantage exposés à des défis dangereux (sports extrêmes, jeux physiques), tandis que les filles le sont plus à des pressions autour du corps, de la minceur et de la sexualisation (INJEP, 2023).
  • Milieu social : Les jeunes en situation de précarité numérique sont moins informés et plus perméables aux discours simplistes et sensationnalistes. Ils bénéficient moins du filtre parental ou éducatif (Observatoire de la Vie Étudiante, 2022).
  • Vulnérabilité psychique : Les adolescents ayant une estime d’eux-mêmes fragilisée ou un historique de troubles anxieux sont plus enclins à s’engager dans des conduites à risque sous pression sociale (Santé Publique France, 2023).

L’enjeu de l’accompagnement : outils et pistes concrètes

Former au discernement numérique

L'une des clés : développer l’esprit critique et le discernement face aux contenus. L’éducation aux médias (ÉMI) est une priorité repérée par l’État et la société civile. Plusieurs associations interviennent en milieu scolaire pour sensibiliser aux mécanismes de viralité, de désinformation et de pression sociale (CLEMI, Internet Sans Crainte).

  • Apprendre à repérer les fake news et à vérifier une source.
  • Savoir identifier une incitation à la prise de risque ou une manipulation émotionnelle.
  • Développer l’auto-régulation dans l’usage du temps d’écran et la publication de contenus personnels.

Renforcer le dialogue avec les adultes

Les recherches montrent que l’ouverture d’un dialogue sans jugement, la valorisation de la confiance et la reconnaissance des questionnements des jeunes protègent bien mieux que des discours menaçants. Propositions :

  • Organiser régulièrement des ateliers parents-enfants sur les usages numériques.
  • Élargir l’accès à des ressources éducatives sur la prévention des risques liés au numérique (guides, vidéos, podcasts courts, etc.).
  • Encourager les initiatives éducatives de "mentorat" entre pairs, pour que les jeunes eux-mêmes deviennent acteurs de prévention.

Encadrer l’action des plateformes, réguler les contenus

Face à l’émergence rapide de nouveaux phénomènes, la régulation doit suivre. La loi française sur l’encadrement des réseaux sociaux évolue : obligation pour les plateformes de retirer rapidement les contenus dangereux ou incitant à des conduites à risque, modération renforcée, information systématique des usagers sur les dangers. Des progrès restent à faire, notamment sur la transparence de l’algorithme ou la responsabilité des influenceurs (loi du 9 juin 2023 sur l’influence commerciale).

Perspectives pour agir ensemble et prévenir

Les réseaux sociaux bousculent les repères, amplifient et rendent visibles des comportements à risque parfois anciens, parfois inédits. Leur impact doit être analysé avec nuance. Il existe un réel pouvoir d’agir, à condition d’allier accompagnement éducatif, dialogue, action collective et responsabilisation des plateformes. Chaque acteur – famille, école, associations, professionnels de santé – a un rôle à jouer, pour que le numérique demeure avant tout un espace de lien, de partage et de développement positif.

Pour aller plus loin : - Santé publique France : Dossier adolescents et numérique - Internet Sans Crainte : Guides pour jeunes et parents - CLEMI : L’éducation aux médias à l’école - OFDT, Pratiques à risque chez les adolescents

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