Entre perception sociale et réalité scientifique : déconstruire les idées reçues

L’association entre usage de substances et actes de violence est fréquemment évoquée dans le débat public. Pourtant, il est essentiel de différencier perception et réalité. En France, selon Santé publique France, plus de 80 % des personnes qui consomment de l’alcool ou d’autres substances ne commettent jamais de violences interpersonnelles. Cependant, certains contextes et consommations aggravent les risques, notamment lors d’usages excessifs, précoces ou en association avec certaines vulnérabilités sociales ou psychiques (Santé publique France).

  • La majorité des usages ne débouchent pas sur des actes de violence.
  • Violence et consommation partagent très souvent le même terrain : précarité, difficultés relationnelles, troubles de santé mentale.
  • Tous les produits n’induisent pas les mêmes risques pour soi et pour autrui.

Quels produits ? Quels types de violences ? Penser la diversité des situations

Il existe une grande variété de violences interpersonnelles : violences conjugales, intrafamiliales, bagarres en soirées, agressions sur l’espace public, violences sexuelles, etc. Toutes ne sont pas directement liées à la consommation de produits, mais l’alcool, certains stimulants et parfois le cannabis reviennent régulièrement dans la littérature scientifique comme facteurs de risque.

L’alcool, au centre de l’attention

En France, l’alcool reste le produit le plus fréquemment impliqué dans les faits de violence. Selon une enquête publiée dans le Bulletin Tendances de l’OFDT (2022), près de 30 % des auteurs d’agressions graves déclarent une consommation importante d’alcool dans les heures précédant l’acte. Dans les violences conjugales recensées par la police nationale, l’alcool intervient dans 40 à 50 % des situations, selon les territoires (Ministère de l’Intérieur).

  • L’alcool désinhibe, diminue les capacités d’autocontrôle et les facultés de jugement.
  • Les violences en contexte de fête ou de rassemblement festif sont fréquemment associées à l'ivresse.
  • Les risques sont accrus en cas de conflits latents dans le couple ou la famille.

Stimulants et violence impulsive

Les stimulants, comme la cocaïne ou les amphétamines, sont moins consommés globalement mais augmentent le risque de passages à l’acte impulsif, en particulier lorsqu’ils sont consommés avec de l’alcool (« polydrug use »). L’OFDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies) rapporte que chez les jeunes adultes, l’association alcool-cocaïne multiplie par trois le risque d’agression violente lors des sorties nocturnes.

Le cannabis : entre apaisement et complications

Le cannabis est rarement à l’origine directe d’actes violents, et peut même être perçu comme un « calmant » par certains usagers. Cependant, son usage intensif, surtout lorsqu’il débute avant 15 ans, est associé à une aggravation de troubles du comportement et à une majoration des passages à l’acte chez des jeunes déjà en situation de vulnérabilité psychique (Inserm).

  • Le lien entre cannabis et violence est surtout indirect, passant par l’exclusion scolaire, des difficultés à gérer la frustration et une mauvaise estime de soi.
  • Les violences sont plus fréquentes lorsqu’il existe des antécédents de troubles mentaux ou des difficultés familiales importantes.

Mécanismes en jeu : du cerveau aux contextes de vie

Mieux comprendre le lien entre substances et violences suppose d’explorer à la fois les mécanismes biologiques et les déterminants sociaux et environnementaux.

Effets des substances sur le cerveau

  • Alcool : perturbe le fonctionnement du cortex préfrontal, siège de l’autocontrôle et du jugement moral. Cela peut conduire à des réactions émotionnelles plus vives et moins inhibées.
  • Stimulants : excitation accrue, réduction du seuil de tolérance à la frustration, parfois hallucinations ou paranoïa pouvant conduire à des passages à l’acte soudains.
  • Cannabis : modifications de la perception, ralentissement du traitement de l’information, mais plutôt tendance à apaiser (sauf à hautes doses chez les sujets vulnérables).

Facteurs personnels et environnementaux

  • Difficultés économiques et sociales (chômage, précarité de logement, ruptures familiales) contribuent à alimenter à la fois l’usage de substances et les conflits interpersonnels.
  • Antécédents de traumatismes ou de violences subies dans l’enfance sont deux à trois fois plus fréquents chez les personnes auteures ou victimes de violences liées à des consommations à risque (OMS).
  • Santé mentale : anxiété, dépression, troubles du comportement, sont des facteurs d’aggravation.

Quelques chiffres clés pour la France et la Normandie

  • Selon l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales), plus de 200 000 faits de violences intrafamiliales ont été enregistrés en 2022 en France, dont une grande part sur fond de consommation.
  • Près de 60 % des jeunes de 18 à 25 ans mis en cause dans des violences collectives en Normandie avaient consommé de l’alcool ou des drogues dans les 12 heures précédentes (source : préfecture de Normandie, 2023).
  • La consommation d’alcool est signalée dans 44 % des signalements pour maltraitance d’enfant suivis par les équipes de protection de l’enfance du Calvados (rapport départemental, 2022).
  • En France, 10 à 20 % des urgences hospitalières pour violences graves (coups, blessures, agressions sexuelles) mentionnent la présence de produits psychoactifs chez l’auteur ou la victime (DREES).

Effets sur les victimes : impact psychique et cycle de la répétition

Il est important de rappeler que la consommation de produits chez la victime elle-même peut aussi fragiliser et exposer à des violences répétées, notamment dans le cadre de violences conjugales ou de réseaux de traite. De plus, la stigmatisation des victimes usagères de substances est un frein majeur au signalement et à l’accompagnement.

  • Près de 15 % des victimes de violences conjugales signalent une consommation régulière d’alcool ou de médicaments psychotropes, ce qui peut masquer ou aggraver la situation de danger (source : Cour des comptes).
  • L’isolement lié à la consommation d’un proche renforce la difficulté à sortir du cycle de la violence.

Prévention et accompagnement : quels leviers sur le terrain ?

Agir en amont : développer une culture commune de la prévention

Les scientifiques insistent sur l'importance d'agir sur les déterminants sociaux et de santé mentale dès l’enfance pour limiter le cumul des vulnérabilités. En Normandie, les programmes d’éducation à l’autocontrôle émotionnel et d’accompagnement parental montrent des résultats encourageants. Par exemple :

  • Ateliers dans les collèges ou lycées sur les risques liés à l’alcool, mais aussi sur la gestion des émotions et la communication non violente.
  • Formations pluridisciplinaires pour les professionnels du social, du médical, et du secteur associatif, afin de mieux repérer et orienter.
  • Groupes d’entraide ou d’écoute pour les familles concernées par la double problématique addiction/violence.

Limiter les risques lors des évènements festifs

Des actions concrètes menées localement montrent leur efficacité, comme la présence de médiateurs sur les lieux festifs, la distribution d’eau et de repas gratuits, ou la mise à disposition de « safe zones » pour les victimes potentielles ou les personnes en détresse.

Prendre en charge au plus près

  • Le développement de consultations conjointes (addictologie et prise en charge des violences) est recommandé par la Haute autorité de santé.
  • Les dispositifs d’accompagnement des hommes violents intégrant le repérage et la réduction des consommations à risque, témoignent de diminutions notables du taux de récidive, comme en Seine-Maritime.

Vers des réponses adaptées et une prise en compte globale

Articuler prévention, réduction des risques, accompagnement social et suivi médical s’avère indispensable pour rompre les liens nocifs entre consommations de produits et violences interpersonnelles. La prise en charge doit rester non-jugeante, respectueuse des personnes, et coordonnée avec les réseaux locaux. Valoriser la parole des témoins et des victimes, favoriser la coopération (santé, justice, éducation, associations) sont des leviers majeurs.

Ce sujet appelle à poursuivre les efforts pour mieux documenter les réalités locales, former les acteurs de terrain, et investir dans une sensibilisation précoce à la gestion du stress, aux conduites à risque et au respect d’autrui. Des initiatives dans plusieurs villes normandes montrent qu’une mobilisation collective porte ses fruits, tant pour réduire l’incidence des violences que pour faciliter la sortie de l’isolement des personnes concernées.

Pour aller plus loin : OFDT, Santé publique France, INSERM, OMS, Violences femmes info.

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