Comprendre ce que l’on appelle « mise en danger »

Le terme « mise en danger » évoque différents comportements où la santé, l’intégrité ou la vie de la personne est exposée à un risque : conduite à grande vitesse, scarifications, overdose, relations sexuelles non protégées, jeux dangereux, consommation massive d’alcool en peu de temps, etc. Il existe aussi des formes moins visibles, comme les prises de risques à répétition dans la vie professionnelle ou sociale.

Si le grand public associe spontanément certains de ces actes à des addictions, la réalité est bien plus nuancée. Distinguer ce qui relève d’un trouble addictif, d’une recherche de sensations ou d’autres problématiques est essentiel pour une prévention efficace.

Mise en danger et addiction : une confusion fréquente

Dans le langage courant, il arrive qu’on parle d’addiction dès qu’une personne adopte un comportement dangereux pour elle-même. Cette confusion est renforcée par la médiatisation des dépendances, notamment celles visibles chez les jeunes (alcoolisations rapides, « binge drinking », conduites à risque routier).

  • Selon l’Observatoire Français des Drogues et Tendances Addictives (OFDT), 44% des lycéens interrogés déclarent avoir déjà eu une forte ivresse alcoolique, une proportion en lente diminution ces dernières années, mais révélatrice de l’ampleur du phénomène (OFDT).
  • Pourtant, seulement une minorité d’entre eux devient dépendante à l’alcool à l’âge adulte.

L’addiction est définie par la perte de contrôle sur la consommation d’un produit (alcool, cannabis, jeux d’argent...) ou sur un comportement (jeux vidéo, achat compulsif, etc.), malgré la conscience des conséquences négatives. Or, beaucoup de personnes adoptent des conduites à risque sans présenter de syndrome de dépendance.

Quand la mise en danger ne rime pas avec addiction

Toutes les mises en danger ne sont donc pas liées à une addiction. Plusieurs autres facteurs peuvent expliquer ces comportements :

  • Recherche de sensations fortes : certains adolescents – mais aussi des adultes – testent leurs limites pour ressentir de fortes émotions ou se confronter à la peur.
  • Facteurs environnementaux et sociaux : difficulté familiale, pression du groupe, précarité, violences subies, isolement.
  • Détresse psychique : anxiété, troubles dépressifs, traumatismes non pris en charge.
  • Rituels de passage ou défis sociaux : ainsi, les « jeux à la cannelle » ou le « choking game » chez les adolescents ne s’inscrivent pas dans une dynamique addictive, mais plutôt dans un effet d’entraînement collectif et d’appartenance.
  • Manque d’information ou banalisation du risque : minimisation (volontaire ou non) des dangers, croyances erronées véhiculées par l’entourage, etc.

Une étude publiée dans European Child & Adolescent Psychiatry (2022) fait ainsi le lien entre automutilation chez les mineurs et facteurs relationnels, mais rarement avec une addiction stricto sensu (Springer).

L’addiction : seulement un scénario parmi d’autres

Les troubles addictifs représentent effectivement des cas où la prise de risque s'installe et perdure dans le temps. Les données montrent cependant que le passage de l’expérimentation à l’addiction n’est pas la règle :

  • En France, sur 1,3 million de personnes présentant une consommation quotidienne d’alcool, près de la moitié ne répondent pas aux critères de l’addiction sur le plan médical (Source : Santé Publique France, Baromètre 2021).
  • Dans le jeu pathologique, moins de 2% des joueurs réguliers présentent des comportements addictifs nécessitant une prise en charge spécialisée (source : ANJ – Autorité nationale des jeux, 2023).

On l’oublie parfois : l’expérimentation et l’usage problématique ne sont pas synonymes d’addiction. L'approche médicale distingue :

  • L’usage simple/expérimental (sans perte de contrôle ni conséquences néfastes durables)
  • L’usage nocif/dangereux (avec déjà des impacts négatifs, mais sans syndrome de dépendance)
  • L’addiction avec ou sans substance

Mises en danger sans produits : un phénomène sous-estimé

L’attention se porte souvent sur l’addiction aux substances (alcool, tabac, drogues). Pourtant, de nombreuses situations de danger n’impliquent ni alcool, ni psychotropes, ni jeu. Quelques exemples :

  • Conduite sans ceinture de sécurité, ou sous fatigue extrême
  • Pari de sauter d’une hauteur, ou défis physiques dangereux filmés et partagés sur les réseaux sociaux
  • Exposition volontaire à un partenaire sexuel sans protection, dans un contexte émotionnel fragile, hors toute dépendance sexuelle

Ces actes, tout aussi préoccupants, interrogent sur la fonction qu’ils remplissent pour la personne : besoin de reconnaissance, lutte contre l’ennui, appel au secours, ou simple désir d’expérimenter.

Quelques chiffres pour mieux cerner le phénomène

  • Chez les adolescents, 53% déclarent avoir déjà participé à au moins un « jeu dangereux » en dehors de toute consommation de substances, selon l’enquête HBSC 2022 (Santé Publique France).
  • En 2021, 13% des adultes ont reconnu avoir, dans l’année, pris des risques importants au volant, sans rapport avec une prise d’alcool, mais sous l’emprise de la fatigue, du stress ou de la pression sociale (source : Sécurité Routière, baromètre 2021).

Ces pratiques concernent tous les milieux et tous les âges, souvent en dehors du champ addictologique classique.

Risque suicidaire : toujours de l’addiction ?

Une zone particulièrement sensible est celle du risque suicidaire et de l’automutilation. Un lien existe avec les addictions : les personnes souffrant de troubles de l’usage (drogues, alcool) ont en moyenne un risque plus élevé de tentative de suicide (INSERM). En revanche, l’immense majorité des passages à l’acte sont multi-factoriels :

  • Troubles psychiatriques (dépression, bipolarité, troubles de la personnalité…)
  • Difficultés émotionnelles durables (rupture, deuil, violence subie…)
  • Isolement social, précarité économique
  • Antécédents familiaux

Chez les moins de 25 ans, les tentatives de suicide ne s’accompagnent pas toujours d’une consommation de produit, mais relèvent davantage d’un sentiment d’impasse, d’un retentissement émotionnel aigu, ou d’une méconnaissance des solutions d’aide (Suicide Écoute).

Pourquoi il est crucial de ne pas tout réduire à l’addiction

Réduire l’ensemble des mises en danger à l’addiction conduit à de nombreux écueils :

  • Stigmatisation : Étiqueter comme « addict » toute personne qui adopte un comportement à risque produit de l’exclusion, renforce la honte et décourage l’accès à l’aide.
  • Erreur de diagnostic : Un élève qui vole à répétition ou un salarié qui prend des risques excessifs sur son chantier peuvent relever d’un mal-être ou d’un trouble psychique, non d’une dépendance.
  • Échec de prévention : Les actions ciblant les addictions (information sur les drogues, réduction des risques, mise à disposition de matériel sécurisé) ne suffisent pas à toucher ces autres publics vulnérables.

Vers une approche globale des conduites à risques

Sortir du prisme exclusif de l’addiction permet d’ouvrir d’autres pistes d’analyse :

  • Prendre en compte le contexte de vie et l’ensemble des facteurs contributifs
  • Développer une écoute active et bienveillante, sans présupposer, pour accueillir la parole de la personne sur ses difficultés
  • Renforcer la coordination des professionnels : santé mentale, protection de l’enfance, justice, associations de prévention
  • Informer sur les aides existantes, y compris hors champ addictologique (lignes d’écoute, espaces jeunes, psychologues de ville…)

Pistes d’action pour la prévention

La prévention des mises en danger suppose une alliance entre repérage, orientation et accompagnement, en évitant de penser systématiquement « addiction ».

  • Favoriser le dialogue précoce avec les jeunes ou les adultes qui traversent une période à risque, sans juger ni caricaturer leur situation.
  • Adapter les messages selon les situations : parler respect des limites, gestion des émotions, information sur les dangers, mais aussi développement de l’esprit critique face aux phénomènes de groupes ou défis sociaux.
  • Mettre l’accent sur la prévention primaire : développer des ateliers sur la connaissance de soi, la gestion du stress, la capacité à demander de l’aide, pour tout âge.
  • Permettre un accès facilité à un accompagnement psychologique pour aborder l’éventail des facteurs à l’origine des comportements à risque.
  • Développer des espaces d’expression (groupes de parole, ateliers en milieu scolaire, prévention sur les réseaux sociaux) où chacun peut expliquer son rapport au risque.

Une réalité plurielle, des réponses à imaginer ensemble

Les conduites de mise en danger sont des signaux qu’il ne faut ni minimiser, ni enfermer dans une seule explication. Addiction, mal-être, besoin d’expérience, contexte social : chaque histoire est singulière, chaque parcours mérite une écoute adaptée. Plutôt que de chercher un unique coupable, il s’agit d’ouvrir une discussion sur le sens de ces actes, et de promouvoir une prévention respectueuse de toutes les réalités.

Le dialogue entre professionnels, familles, pairs et personnes concernées reste la clé pour penser des solutions justes, inclusives et réellement aidantes. Il n’existe pas de réponse unique, mais une vigilance collective à cultiver face à ces fragilités qui, parfois, s’expriment là où on les attend le moins.

En savoir plus à ce sujet :