Repérer les situations à risque : des signaux souvent discrets

Repérer les conduites à risque répétées nécessite d’affiner son observation sans tomber dans l’intrusion. Les comportements dangereux peuvent aller de la consommation excessive d’alcool, à la conduite sans ceinture, à la scarification ou à la prise de substances psychoactives. Parfois, les signaux sont discrets, camouflés par le déni ou la honte. Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), 15,6 % des jeunes de 17 ans ont déclaré avoir consommé au moins trois types de produits psychoactifs au cours de leur vie (OFDT, 2022).

  • Changements de comportements soudains : isolement, irritabilité, sautes d’humeur, pertes d’intérêt pour des activités appréciées.
  • Présence de blessures fréquentes, absences répétées, signes de fatigue chronique.
  • Discours banalisant ou fataliste sur le danger ("ça arrive à tout le monde", "je gère", "pas de souci pour moi").
  • Échec répété à respecter des engagements (scolaires, professionnels ou familiaux).

Attention : l’absence de signe "franc" ne signifie pas l’absence de risque. Beaucoup de jeunes, d’adultes ou de seniors dissimulent leurs difficultés.

Comprendre la dynamique de la prise de risque répétée

La prise de risque n’est pas une simple "erreur de parcours". Elle répond souvent à des besoins complexes, parfois inconscients. Les chercheurs en psychologie et en neurosciences ont montré que le risque peut jouer plusieurs rôles :

  • Besoins de sensations ou d’excitation : Le cerveau adolescent, par exemple, a une sensibilité accrue à la nouveauté et à la récompense. D’après l’Inserm, "la maturation plus lente du cortex préfrontal" expliquerait une moindre capacité d’inhibition face à la tentation, en particulier chez les jeunes (Inserm, 2019).
  • Tentative de gestion des émotions ou de souffrances psychiques : Le passage à l’acte risque peut être une façon – parfois la seule – de faire taire une angoisse, un stress ou une tristesse profonde.
  • Recherche d’appartenance : Dans certains groupes, la répétition des prises de risques soutient le sentiment d’intégration (fêtes, défis sur les réseaux sociaux, etc.).
  • Effets des vulnérabilités sociales : Isolement, précarité, violences subies, discriminations augmentent l’exposition aux dangers.

Ces réalités expliquent pourquoi il est illusoire de "raisonner" uniquement avec des arguments de peur ou de morale. Agir exige de comprendre la fonction du comportement.

Adopter la bonne posture pour soutenir sans juger

Trois leviers prouvés, issus des pratiques de l’éducation à la santé et de l’accompagnement psychosocial :

  1. L’écoute active : Montrer une présence attentive, reformuler, valider les ressentis sans minimiser ni dramatiser. Selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé, cette attitude favorise la relation de confiance et permet à la personne de s’ouvrir à la réflexion (HAS, 2022).
  2. L’absence de jugement : Bannir les jugements moraux, se concentrer sur les faits et sur les ressources de la personne. Admettre que la difficulté à changer n’est pas liée à un manque de volonté, mais à de multiples déterminants.
  3. L’encouragement à la petite progression : Plutôt que viser un "arrêt radical", valoriser chaque étape, chaque tentative. Même des changements modestes sont bénéfiques à long terme, comme l’a montré une étude du British Medical Journal sur la réduction des consommations à risque (BMJ, 2016).

Les interventions efficaces ne cherchent pas à "sauver", mais à soutenir l’autonomie.

S’appuyer sur les outils de réduction des risques et des dommages

La réduction des risques (RdR) n’est pas réservée aux situations de toxicomanie lourde. Selon Santé Publique France, elle s’adapte à de nombreux contextes : alcool, sexualité, jeux, écrans, mobilités… Elle répond à trois principes :

  • Informer de manière claire (effets des produits, risques associés, moyens de se protéger).
  • Mettre à disposition des outils concrets (préservatifs, naloxone, tests de dépistage, lieux de repos après fête, etc.).
  • Soutenir la réflexivité : aider à faire le point sur ses pratiques au fil du temps, par exemple via un journal de bord ou des auto-questionnaires.

En France, le réseau des CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues) propose partout, même en zones rurales, des dispositifs de RdR ouverts à tous. D’autres associations, comme AIDES ou SOS Addictions, interviennent aussi dans le champ de la prévention. À noter : la réduction des risques n’exclut ni l’arrêt à terme des conduites dangereuses, ni l’ambition d’un mieux-être global.

Impliquer le réseau : familles, pairs, professionnels

L’accompagnement efficace ne se joue pas toujours en "face à face". Les expériences menées dans plusieurs régions, dont la Normandie, montrent l’importance du collectif :

  • Impliquer les proches : Les proches sont souvent démunis, entre la peur, la culpabilité et la fatigue. Proposer des espaces de parole ou de soutien pour l’entourage peut alléger la pression et renforcer l’efficacité des actions.
  • Mobiliser les pairs : Des réseaux de jeunes, d’anciens usagers, de personnes concernées, peuvent transmettre des messages mieux perçus et adaptés. En Normandie, l’association Normandie Prévention a formé plus de 200 jeunes "ambassadeurs prévention" depuis 2019.
  • S’appuyer sur des professionnels formés : Psychologues, travailleurs sociaux, infirmiers, éducateurs spécialisés, médiateurs de santé pairs… Ces professionnels ont accès à des outils spécifiques (entretien motivationnel, psychoéducation, médiation culturelle).

Identifier les ressources existantes et s’y connecter, c’est augmenter les chances de réussite.

Les particularités de la prise de risque chez les jeunes : un défi spécifique

Les jeunes ne sont pas simplement "immatures". Les études révèlent qu’avant 25 ans, la zone du cerveau liée à la prévision des conséquences n’a pas atteint sa maturité complète (National Institute on Drug Abuse, 2020). Le sentiment d’invulnérabilité, l’importance du groupe, et la recherche d’identité jouent un rôle clé.

  • Les chiffres de la Sécurité Routière montrent qu’en France, 24 % des personnes décédées sur la route en 2022 avaient entre 18 et 24 ans, alors qu’ils représentent moins de 10 % de la population (Sécurité Routière).
  • L’expérimentation, le défi et la recherche de sensations fortes sont des moteurs puissants. Les messages du type "ça peut t’arriver" ou "tu pourrais mourir" sont généralement peu efficaces.

Prendre le temps du dialogue et co-construire le sens des règles donne de bien meilleurs résultats que l’interdit sec.

Quand alerter et orienter : les seuils de vigilance

L’accompagnement a ses limites et il est primordial de savoir quand (et comment) orienter vers des professionnels spécialisés. Quelques situations nécessitent de réagir rapidement :

  • Tentative de suicide ou automutilation sévère récente : Appelez le 15 ou le 112 sans délai.
  • Dépendance sévère à des substances : Orientation vers un CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie), où une prise en charge globale sera proposée. En 2021, on dénombrait 482 CSAPA répartis sur tout le territoire français (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives).
  • Risque vital immédiat : intoxication grave, perte de connaissance, comportement mettant en danger autrui. Dans ce cas, la priorité reste toujours l’alerte médicale.

La vigilance consiste à agir vite sans paniquer ni laisser la personne isolée.

Quelques outils pratiques pour accompagner au quotidien

  • L’entretien motivationnel : Outil d’accompagnement centré sur les ambivalences et l’autonomisation. Il implique de poser des questions ouvertes ("Qu’est-ce qui t’amène à faire ce choix ?"), d’explorer les envies de changement, de soutenir l’auto-efficacité. Plusieurs formations de base existent, notamment à destination des professionnels du soin et de l’éducation.
  • Les ressources d’auto-support : Par exemple, l’application "Stellar", créée par l’Association Addictions France, propose des modules pour aider à modérer la consommation d’alcool ou à trouver du soutien à distance.
  • Les campagnes de réduction de risques : Les sites Drogues Info Service ou Santé Publique France mettent à disposition brochures, vidéos, cartes interactives, numéros verts.
  • Les contacts d’urgence : Les numéros utiles à rappeler :
    • 15 (Samu)
    • 112 (numéro d’urgence européen)
    • 3114 (Prévention du suicide)
    • Ligne Écoute Alcool : 0 980 980 930

Prendre soin de soi en tant qu’accompagnant, parent ou professionnel est aussi essentiel pour "tenir la distance" et rester efficace dans la durée.

Regards croisés et nouveaux défis pour la prévention

Accompagner les personnes qui s’exposent à des dangers répétés demande ténacité, empathie et créativité. Les défis sont multiples : accès aux soins en zones rurales, nouvelles formes de prises de risques (défis sur les réseaux sociaux, cyberaddiction), complexification des parcours. Mais partout, des initiatives émergent, portées par des collectifs locaux, des pairs, des associations et des professionnels. Créer les conditions d’un dialogue sans tabou, valoriser les ressources de chaque personne, favoriser l’information partagée et la mise en réseau : c’est ainsi que la prévention progresse. S’informer, former, coopérer, c’est contribuer concrètement à des parcours plus sûrs et à une santé partagée pour tous.

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