Qu’entend-on par “passage à l’acte dangereux” ?

L’expression recouvre des réalités très variées. Parmi elles :

  • Les tentatives de suicide ou de mise en danger de soi (scarifications, prise massive de substances…)
  • Les agressions, violences verbales ou physiques envers autrui
  • Les prises de risques majeures liées aux consommations (alcool, stupéfiants, médicaments…) ou à des conduites impulsives (conduite à grande vitesse, jeux dangereux…)
  • Les actes de mise en danger dans un contexte psychiatrique (troubles psychotiques, délires…)

Parler de « signaux d’alerte » ne constitue jamais un diagnostic. Il s’agit plutôt de distinguer des modifications, des indices qui, cumulés ou soudains, interpellent. La vigilance ne vise pas à étiqueter, mais à pouvoir soutenir, orienter et prévenir.

Pourquoi repérer ces signaux précoces ?

Les chiffres rappellent l’importance de l’enjeu : en France, les conduites suicidaires concernent chaque année environ 200 000 tentatives (Source : Santé Publique France, 2019). Les addictions majeures doubleraient le risque de passage à l’acte auto-agressif. Côté violences interpersonnelles, une personne sur quatre en France a été confrontée à une situation de violence grave dans sa vie, souvent dans un contexte de vulnérabilité psychique ou addictive (INSEE, 2021).

Agir en amont, ce n’est pas prédire, mais donner une chance à la prévention : contacter une aide, rétablir le dialogue, ou mettre à distance une situation à risques. Plusieurs études (Inserm, 2022 ; OMS) montrent que la majorité des passages à l’acte sont précédés de signes qui n’ont pas toujours été repérés ou pris au sérieux.

Quels sont les signaux à surveiller ? Indices comportementaux et contextuels

Nul ne réagit de la même façon sous l’effet d’une souffrance ou d’un basculement addictif. Toutefois, certains changements appellent particulièrement la vigilance.

Signes psychiques et émotionnels

  • Repli soudain ou rupture des liens : une personne qui s’isole, évite ses proches, réduit son cercle social
  • Discours ou indices de désespoir : phrases du type « je n’y arrive plus », « tout serait plus simple sans moi », mais aussi des blagues répétées sur la mort ou la disparition
  • Variations brutales de l’humeur : passages rapides de l’agitation à l’apathie, colères inhabituelles, irritabilité sans raison
  • Anxiété persistante, panique, trouble sommeil/appétit

Signes comportementaux

  • Changements radicaux dans les habitudes : sorties nocturnes non expliquées, conduites à risque, arrêt brutal de loisirs ou d’activités appréciées
  • Augmentation ou modification des consommations : usage massif ou soudain d’alcool, médicaments, drogues ; mélange de produits
  • Agressivité, violence envers autrui ou soi-même : menaces, bagarres, automutilations
  • Préparatifs inhabituels : don d’objets précieux, écriture spontanée de lettres d’adieu, prise de rendez-vous non expliquée
  • Rupture des engagements : absences répétées au travail, désengagement scolaire, négligence de l’hygiène ou du logement

Signes contextuels et environnementaux

  • Événement brutal (décès, séparation, harcèlement…)
  • Antécédents de conduites à risque ou de violence (personnelle ou dans le cercle familial)
  • Isolement social accru ou perte de points d’appui (emploi, logement, accès aux soins…)
  • Accès facilité à des moyens dangereux (armes, substances, argent liquide…)

S’ils ne sont jamais à eux seuls une preuve d’intention de passage à l’acte, ces signaux, pris dans leur ensemble, invitent à redoubler de vigilance, surtout s’ils sont nouveaux ou sans explication logique.

Facteurs de vulnérabilité : qui est concerné ?

La prévention doit éviter deux pièges : croire que « cela n’arrive qu’aux autres » d’un côté, suspecter tout comportement atypique de l’autre. Plusieurs facteurs rendent plus fragile face au risque de passage à l’acte :

  • Antécédents psychiatriques (troubles dépressifs, troubles bipolaires, épisode psychotique…)
  • Consommations addictives à risque (alcool, opioïdes, cocaïne, polyconsommation…)
  • Jeunes adultes (l’âge moyen de la première tentative suicidaire est de 19 ans, Source : Baromètre santé, 2021)
  • Personnes LGBTQIA+ (risque jusqu’à 4 fois supérieur de tentative de suicide, Source : SOS Homophobie, 2022)
  • Victimes de violences ou d’événements traumatiques antérieurs
  • Personnes marginalisées socialement ou économiquement

L’étude du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) souligne par ailleurs que, dans près de 60 % des suicides, un trouble addictif ou une dépendance figure comme facteur associé (CépiDc Inserm, 2021).

Savoir dialoguer face à un doute : premiers réflexes et erreurs à éviter

Beaucoup hésitent à aborder le sujet, par peur « de donner de mauvaises idées ». Pourtant, le questionnement n’incite pas au passage à l’acte : au contraire, il brise la solitude et offre une issue possible (OMS, 2021).

  • Privilégier un lieu calme, proposer de parler sans forcer
  • Utiliser des phrases ouvertes : « Je m’inquiète, tu sembles différent·e en ce moment, est-ce que tu veux en parler ? »
  • Ne pas minimiser (« ça va passer ») ni condamner (« c’est de ta faute »)
  • Laisser la personne exprimer ses émotions, y compris le désespoir, la colère
  • Ne pas promettre une confidentialité trop rigide : « Si jamais tu me parles de danger pour toi ou pour les autres, il est possible que je doive demander de l’aide. »

Si le risque immédiat semble présent (menaces explicites, préparation d’un geste dangereux, accès à des moyens létaux), il ne faut pas laisser la personne seule et contacter rapidement un service d’urgence ou un professionnel (15, 112, SAMU social, équipes mobiles psychiatrie…).

Addictions et passage à l’acte : une vigilance particulière

La France compte parmi les pays européens où la consommation de substances psychoactives reste élevée : près d’un adulte sur cinq consomme régulièrement de l’alcool (OFDT, 2023), et près de 45 000 overdoses sont déclarées chaque année. Les états de manque, de sevrage ou d’intoxication sont, à eux seuls, des circonstances à haut risque.

  • L’alcool démultiplie l’impulsivité et altère le jugement. 70 % des passages à l’acte auto-agressifs le sont sous l’emprise ou à la suite d’une consommation (Inserm, 2022).
  • La cocaïne et les amphétamines exposent à des épisodes de surexcitation, voire de bouffée délirante aiguë.
  • Les troubles addictifs comorbides avec des maladies psychiatriques majorent le risque de 30 % (Canadian Medical Association Journal, 2019).

Signaux spécifiques à repérer dans ces contextes :

  • Multiplication des « prises massives » ou « dérapages », consommation solitaire
  • Changements brusques d’attitude en groupe (euphorie, agressivité, crises de larmes)
  • Perte de l’auto-soin, propos incohérents ou délires d’interprétation
  • Recherche de substances « coup de poing », usage de nouveaux produits sans contrôle de dosage (nouveaux dérivés de synthèse…)

Facteurs déclencheurs : repères pour comprendre le passage à l’acte

Aucun signal ne permet d’anticiper à coup sûr un passage à l’acte. Il s’agit d’une rencontre entre :

  • Une vulnérabilité (psychique, addiction, isolement, stress chronique…)
  • Des facteurs déclencheurs (« trigger » : nouvelles difficultés, événement de vie, accès à des moyens dangereux…)
  • Une absence temporaire ou durable de ressources (réseaux de soutien, accès aux soins, environnement sécure…)

Des études (Institut Montaigne, 2022) soulignent que le cumul d’événements dans un court laps de temps (perte d’un emploi + conflit familial + rupture d’un suivi médical, par exemple) peut faire basculer une personne, même si elle semblait « aller mieux » quelques jours auparavant.

État du terrain en Normandie : chiffres et dispositifs

En Normandie, les tentatives de suicide chez les adolescents et jeunes adultes sont légèrement supérieures à la moyenne nationale (près de 9 % des 15-25 ans déclarent avoir déjà tenté de se suicider, Source : ORS Normandie, 2023). Les passages à l’acte liés à l’alcool y sont également plus fréquents lors des grands événements festifs (festivals, fêtes étudiantes…).

  • Les CHU de Caen et Rouen disposent d’équipes psychiatriques d’urgence et de lignes de prévention (ex : VigilanS), accessibles 24h/24.
  • Des dispositifs type « Soutien Transversal Addictologique » ou « Maisons des Adolescents » permettent un accompagnement des jeunes en souffrance psychique et addictive.
  • Des associations locales comme Addictions France, AIDES ou le CIDFF forment régulièrement à la détection de signaux faibles en prévention du passage à l’acte.

Fin 2023, près de 600 situations « préoccupantes » avaient été remontées au réseau régional VigilanS (Programme post-crise suicide ; CHU de Lille et Normandie).

Les bons réflexes pour chaque profil : acteurs et outils pour agir

  • Professionnels de santé ou du social : Oser aborder de front la question du passage à l’acte ; utiliser les échelles validées (C-SSRS, MINI). S’appuyer sur les Cellules de Crise et les équipes pluridisciplinaires. Former à la gestion de crise (ex : form’action “Questionner sans stigmatiser”).
  • Familles, amis, collègues : Repérer les changements, instaurer un dialogue régulier, s’informer grâce à des ressources validées (Santé Publique France, Psycom, Addictions France). Ne pas rester seul face au doute : solliciter les centres d’écoute et plateformes téléphoniques spécialisées (Suicide Écoute, Fil Santé Jeunes...)
  • Établissements scolaires, structures jeunesse : Former les équipes, faciliter les relais vers les psychologues scolaires et les services de santé universitaires.
  • Personnes concernées : Savoir qu’il est toujours possible de demander de l’aide : médecins généralistes, psychiatres, accompagnants par les pairs (groupes de parole, forums de soutien modérés). Les périodes de crise sont toujours temporaires, des relais existent.

Pour aller plus loin : renforcer la prévention, tisser des réseaux

Repérer les signaux d’alerte n’est pas une science exacte. Cela demande une culture du questionnement, de l’écoute, du soutien, mise en commun à l’échelle d’un territoire. En Normandie comme ailleurs, cela passe par :

  • Des campagnes de sensibilisation ciblées (ex : #AgirPourSoiPourLesAutres, MSA Jeunes)
  • La formation continue des acteurs locaux (projets Prévention Suicide, ateliers en entreprise ou établissements scolaires…)
  • L’engagement des pairs et des personnes concernées, qui sont parfois les premières à détecter des changements inquiétants
  • L’accompagnement dans la durée et la réhabilitation, car chacun peut connaître un passage à vide, mais la prévention collective peut en limiter les conséquences

L’enjeu n’est pas de surveiller, mais de soutenir. Chaque signal, aussi faible soit-il, mérite d’être pris au sérieux, et toute inquiétude peut devenir une occasion de renouer le dialogue et de rétablir un climat de confiance. Pour plus de ressources, n’hésitez pas à consulter les sites de Santé publique France, Psycom, ou les dispositifs régionaux listés sur le portail Normand “Appui Prévention Addictions”.

Sources : Santé Publique France, Inserm, INSEE, Psycom, OFDT, CépiDc, ORS Normandie, Institut Montaigne, OMS, Addictions France, Canadian Medical Association Journal, Baromètre Santé, SOS Homophobie.

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