Adolescence et prise de risque : un phénomène universel… et mal compris

Dès le début du collège, le comportement des adolescents interroge. Courses à vélo sans casque, premières cigarettes, jeux dangereux, défis sur les réseaux sociaux… Les parents, les éducateurs et même certains professionnels de santé s’inquiètent : pourquoi les adolescents semblent-ils avoir un rapport si particulier au danger et à la prise de risque ? Pour répondre à cette question, il est essentiel de dépasser les idées reçues. Loin d’être des “têtes brûlées” inconscientes, les jeunes vivent en fait une période de bouleversements neurologiques, psychologiques et sociaux sans équivalent dans le reste de la vie.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, près de 90% des adolescents européens disent avoir pris un “risque” au cours de la dernière année. Mais tous ces risques ne se valent pas. Alors, qu’est-ce qui rend la prise de risque adolescente si singulière ? Et comment l’accompagner au mieux ?

Le cerveau adolescent : un moteur puissant, mais des freins encore en rodage

Première différence majeure : la maturation du cerveau. La période adolescente (environ de 10 à 24 ans selon les dernières recherches) se caractérise par un développement asynchrone des régions cérébrales. C’est un fait bien documenté : le cortex préfrontal, siège du raisonnement, de l’anticipation et du contrôle des impulsions, n’atteint sa pleine maturité que vers 25 ans (Dahl RE, Science, 2004).

En revanche, les zones cérébrales impliquées dans la recherche de récompense, notamment le système limbique et le striatum, sont, elles, en pleine ébullition dès l’adolescence. Résultat : une attirance accrue pour les sensations fortes, les émotions intenses et la nouveauté. Ce déséquilibre explique des comportements typiques tels que :

  • Le goût pour l’exploration (nouvelles activités, nouveaux amis, envies de transgresser les interdits)
  • L’impulsivité face à une situation stressante ou excitante
  • La difficulté à évaluer objectivement les dangers à moyen ou long terme

Des études en imagerie cérébrale confirment ce constat : lorsqu’on présente à des adolescents des images à haute valeur émotionnelle, leur cerveau s’illumine bien davantage que celui d’adultes, surtout dans la zone du striatum. D’où, parfois, des prises de risques jugées “inexplicables” par les parents ou les enseignants.

Une question d’identité, d’autonomie… et de contestation

L’adolescence est également le théâtre d’une redéfinition de l’identité. Tester ses limites, repousser les cadres familiaux ou scolaires, oser l’interdit : ces attitudes ne sont pas que des provocations gratuites. Elles sont le signe d’une construction psychique en marche.

Selon une enquête menée par l’Inserm en 2022, 62% des adolescents disent que “prendre des risques permet de mieux se connaître”. La prise de risque devient alors un vrai outil d’affirmation de soi. Elle peut prendre plusieurs formes :

  • Expérimenter des substances (tabac, alcool, cannabis, nitrous oxide, etc.)
  • Participer à des défis sportifs ou numériques
  • Exprimer des opinions tranchées, quitte à choquer
  • Essayer de nouveaux styles vestimentaires ou musicaux

Cette quête identitaire explique pourquoi certains adolescents s’opposent systématiquement aux consignes de sécurité, ou semblent ignorer des règles d’évidence (Code de la route, port du casque…). Mais elle montre aussi combien la prise de risque, loin d’être toujours négative, participe au processus de devenir adulte.

Le groupe, catalyseur (ou frein) : l’effet de pair dans les comportements à risque

Si le cerveau compte, le contexte social aussi. Un adolescent n’est jamais isolé : ses décisions, notamment risquées, se prennent souvent sous le regard de ses pairs. Il existe un phénomène bien documenté : l’effet de pair. Devant leurs amis, les jeunes remplissent plus souvent des “défis” et sous-estiment davantage le danger.

Une étude de Steinberg et al. (Developmental Psychology, 2005) a démontré qu’un adolescent multiplie par deux les comportements à risque en présence de ses pairs, contre 20% chez l’adulte. L’effet est encore plus marqué sur certains types de prises de risque (vitesse au volant, consommation de substances, défis dangereux).

A l’inverse, le groupe peut aussi protéger. Les campagnes de prévention “Un Sam, ça aide tout le monde !”, très relayées dans les lycées normands, ont montré que la solidarité et la responsabilisation mutuelle baissent significativement les accidents liés à l’alcool sur la route (Sécurité Routière, 2023).

Prises de risque et addictions : quelle différence avec les autres âges ?

Un point crucial : la prise de risque n’est pas synonyme d’addiction, mais l’adolescence reste une période charnière. Selon l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives (OFDT), l’initiation à la plupart des substances psychoactives a lieu avant 17 ans.

  • 34% des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà expérimenté le cannabis (Enquête ESCAPAD OFDT, 2022)
  • 82% ont déjà bu de l’alcool, et 44% ont connu la première ivresse
  • 10% déclarent avoir pris part à des jeux dangereux (jeu du foulard, défis en ligne…)

Les risques encourus à cet âge sont souvent plus élevés, non seulement parce que les adolescents testent des produits ou des comportements nouveaux, mais aussi parce qu’ils n’ont pas encore développé tous les outils de gestion de soi. Le manque d’expérience, la surestimation de leurs capacités et la recherche de reconnaissance rendent parfois ces prises de risque plus visibles, voire plus dangereuses.

Chez l’adulte, les facteurs de prise de risque évoluent : il s’agit davantage de compenser un mal-être, répondre à un stress chronique, ou gérer une dépendance déjà installée. Chez l’adolescent, la dimension d’exploration, de jeu ou de construction de soi reste primordiale.

Risquer pour grandir : les deux visages de la prise de risque

Il serait réducteur de voir la prise de risque seulement sous un angle négatif. En réalité, elle revêt deux visages :

  • La prise de risque constructive : Essayer une nouvelle activité, oser parler en public, participer à une compétition… Ces situations génèrent stress et adrénaline, mais elles sont utiles, voire nécessaires, au développement de l’autonomie et de l’estime de soi.
  • La prise de risque destructrice : Consommation de substances, conduite dangereuse, comportements alimentaires à risque, automutilation… Si ces actes deviennent habituels, ils signalent souvent une difficulté à communiquer ou à demander de l’aide (OFDT, 2023).

Le défi pour les adultes n’est donc pas d’éradiquer toute prise de risque, mais d’aider les adolescents à distinguer les risques utiles de ceux qui mettent réellement leur santé ou leur avenir en péril.

L’importance de la prévention et du dialogue bienveillant

Savoir repérer, comprendre, et accompagner la prise de risque est devenu central dans les politiques de santé jeunesse. Plusieurs pistes d’action ressortent des recherches récentes :

  1. Valoriser la parole des adolescents : Donner de l’espace pour qu’ils s’expriment, raconter leurs expériences et leurs motivations, sans minimiser ni diaboliser.
  2. Informer sans faire peur : Les messages alarmistes ou culpabilisants sont moins efficaces que les informations neutres et factuelles, soutenues par des témoignages et des faits.
  3. Privilégier l’action collective : Ateliers de discussions, campagnes participatives, interventions de pairs sont plus efficaces que la simple remise de plaquettes informatives (Haute Autorité de Santé, 2021).

En Normandie, des dispositifs comme le parcours santé et citoyenneté, les forums jeunes, ou les points écoute en collèges et lycées offrent des espaces concrets pour aborder ces sujets. Les réseaux locaux, les associations de prévention et les professionnels de santé publique sont des ressources majeures, à solliciter en cas de doute ou d’inquiétude.

Pour aller plus loin : mieux accompagner sans freiner la construction adolescente

Accepter que les adolescents prennent des risques, c’est reconnaître la complexité de cette étape de vie. Le défi consiste à protéger, sans brider; à informer, sans effrayer; à accompagner, sans juger. Le dialogue de confiance, l’exemple des adultes, mais aussi la capacité collective à créer des environnements plus sécurisants (dans les sports, les transports, le numérique…) sont essentiels pour transformer la prise de risque en un véritable levier de croissance.

Pour mieux comprendre et agir, les ressources suivantes sont recommandées :

Pour tous les acteurs – parents, professionnels, jeunes eux-mêmes – mieux comprendre la spécificité de la prise de risque à l’adolescence, c’est agir pour une prévention plus adaptée, plus efficace, et plus respectueuse des besoins réels de chaque génération.

En savoir plus à ce sujet :