Regards sur l’expansion des conduites à risque chez les collégiens

Expérimentation de l’alcool, usage du tabac, premières confrontations aux écrans : pour beaucoup de jeunes, l’entrée au collège coïncide avec ces premiers pas vers des comportements à risque. En 2022, la dernière Enquête nationale sur la santé des collégiens menée par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) révélait que :

  • 8,5 % des élèves de 4ème déclaraient avoir déjà été ivres au moins une fois (contre 2,5 % en 6ème)
  • Environ 16 % des élèves de 3ème ont déjà expérimenté le cannabis
  • La consommation quotidienne de cigarettes reste à la baisse mais touche encore 3,7 % des élèves de 3ème

Au-delà de la peur du produit, l’adolescence marque la période de toutes les curiosités, des envies de défi, de l’influence du groupe. La prévention des addictions devient alors un enjeu éducatif régional, mobilisant tout un écosystème autour du jeune : établissements, familles, associations, collectivités et professionnels de santé.

Mais concrètement, quels sont les programmes qui existent aujourd’hui dans les collèges en Normandie ? Sur quels leviers s’appuient-ils ? Quelles évolutions connaissent-ils ? Cet article fait un tour d’horizon des dispositifs clés, de leur contenu et des particularités de la région.

Les priorités régionales : le cadre d’action en Normandie

La prévention des conduites addictives en milieu scolaire s’inscrit dans la stratégie nationale de santé et dans la feuille de route régionale. La Normandie n’échappe pas aux défis rencontrés par l’ensemble du territoire français, mais elle se distingue par plusieurs initiatives fortes, suscitées par des constats parfois préoccupants.

  • Une part élevée d’expérimentation d’alcool dès la 5ème : la Normandie figurait dans le trio de tête en France selon l’ESCAPAD 2017 (OFDT).
  • Des écarts territoriaux marqués entre zones urbaines et rurales, avec des usages plus précoces dans certaines zones périurbaines (Rapport ARS Normandie, 2021).
  • Un engagement fort des rectorats et de l’Agence Régionale de Santé : animation de groupes de travail, financement d’actions et évaluation régulière des programmes déployés (source : ARS Normandie, Académie de Caen et de Rouen).

L’accent est mis sur trois priorités : retarder l’âge d’entrée dans les consommations, outiller les équipes éducatives, et soutenir les familles. Le décloisonnement des interventions, la prévention précoce (dès le primaire dans certains cas), et l’attention portée aux nouvelles addictions comportementales (écrans, jeux vidéo) sont autant de marqueurs des politiques régionales.

Panorama des programmes phares présents dans les collèges

En Normandie, les collèges peuvent s’appuyer à la fois sur des programmes nationaux, des dispositifs spécifiquement pilotés à l’échelle régionale, et des interventions portées par des associations locales. Voici un aperçu des principaux dispositifs.

1. Le programme « Unplugged » : développer les compétences psychosociales

Déployé en France depuis plus de 10 ans, « Unplugged » est un programme validé par l’OMS et reconnu pour ses effets bénéfiques auprès des élèves de 12 à 14 ans. Il est aujourd’hui l’un des piliers de la prévention dans de nombreux collèges normands (source : Fédération Addiction).

  • Objectif : renforcer les compétences psychosociales (confiance en soi, esprit critique, gestion du stress, résistance à la pression du groupe).
  • Format : 12 séances interactives animées par des enseignants et/ou des intervenants spécialisés, réparties sur toute l’année de 5ème, voire la 4ème.
  • Contenus : jeux de rôle, débats, exercices sur la gestion des émotions.
  • Résultats : une diminution significative de l’expérimentation du tabac (de –17 % selon les évaluations européennes UNODC) et un effet sur la baisse de la consommation d’alcool et de cannabis.

En Normandie, le programme est diffusé par plusieurs structures, dont certains Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).

2. « Les Cités éducatives » et la prévention globale en territoires prioritaires

Plus de 30 établissements normands bénéficient du label « Cités éducatives », porté par le Ministère de la Ville et l’Éducation nationale, en particulier à Rouen, Le Havre, Évreux et Caen. La lutte contre les usages de substances et les risques numériques y tient une place centrale.

  • Actions sur-mesure : ateliers d’expression, interventions de pairs éducateurs, rencontres parent-professeur.
  • Partenariats renforcés avec le secteur associatif, notamment la fédération Addiction France, Sauvegarde 76, ou encore l’équipe mobile de l’IREPS Normandie.
  • Expérimentations : mini-festivals de prévention, « cafés parents » autour des écrans, consultations jeunes consommateurs dans l’enceinte des collèges.

3. Le dispositif « AdoEnJeu » : prévention des addictions comportementales

Avec la montée en puissance des usages d’écrans, des jeux vidéo, et des réseaux sociaux, la Normandie a fait le choix d’inclure très tôt dans ses programmes de prévention une approche spécifique des « addictions sans substances ».

  • Animation par l’IREPS Normandie et soutenu par l’ARS.
  • Actions menées : interventions en classe, groupes de parole, accompagnement d’équipes éducatives autour de la prévention du cyberharcèlement et de l’hyperconnexion.
  • Des chiffres : 58 collèges normands ont bénéficié d’ateliers AdoEnJeu en 2023 (source : IREPS Normandie).

Le dispositif propose également des supports numériques « Escape Game », des kits pédagogiques pour les enseignants, et des outils pour dialoguer en famille.

4. Les interventions ponctuelles « Écoute et Paroles » : rencontres avec des professionnels

De nombreux collèges s’ouvrent à des interventions externes animées par des infirmiers, éducateurs spécialisés, ou anciens usagers. Ce format, s’il ne peut se substituer à un programme construit sur l’année, permet de :

  • Briser les tabous sur les substances comme le cannabis, les protoxydes d’azote, ou l’alcool.
  • Aborder la législation locale, très importante, notamment sur la vente d’alcool aux mineurs, la prise en compte du harcèlement et la sécurité sur internet.
  • Identifier des jeunes en situation de vulnérabilité ou de début de consommation problématique.

5. Actions auprès des équipes éducatives et des familles

Toute prévention efficace s’inscrit dans un cadre global. La Normandie mise sur :

  • Des formations massives des infirmiers et CPE sur « l’accueil des paroles de jeunes », l’identification des signaux d’alerte.
  • Un Plan Régional d’Accompagnement « Parents d’Ados » : soirées d’information, guides pratiques, groupes d’échanges (source : Réseau Appel d’Air).

En 2023, près d’un tiers des collèges publics normands avaient organisé au moins une rencontre parents-professionnels sur le sujet des addictions (source : Rectorat de Normandie).

L’approche normande : pluralité, innovation et évaluation

Ce qui distingue la Normandie, c’est l’attention portée à :

  1. L’adaptation territoriale : les actions sont pensées à l’échelle du bassin de vie, en fonction des besoins spécifiques (ruralité, précarité, proximité portuaire ou transfrontalière).
  2. La co-construction : implication des élèves dans la conception de certains ateliers – comme les « conseils de la vie collégienne » dédiés à la prévention, testés sur Caen et Dieppe.
  3. L’évaluation continue : 85 % des programmes installés font l’objet d’évaluations (questionnaires anonymes, collectes de données épidémiologiques, groupes de parole), pilotées par l’ARS ou l’IREPS.

Si aucune action ne répond à tous les défis, cette pluralité permet de toucher un maximum de jeunes, d’adapter les discours et de repérer plus tôt les situations à risque.

La voix des élèves et des professionnels : retours d’expériences

Pour mieux comprendre l’effet des programmes, rien de tel que de donner la parole à celles et ceux qui les vivent au quotidien. Quelques repères issus du terrain normand :

  • Des collégiens évoquent un sentiment de liberté de parole, de pouvoir échanger sans crainte de sanction ni stigmatisation.
  • Plus d’un tiers des élèves concernés par Unplugged affirment avoir osé parler d’un début de consommation à un adulte pour la première fois (source : enquête IREPS Normandie, 2022).
  • Les infirmières scolaires apprécient la montée en compétences permise par les ateliers et les ressources partagées en ligne.
  • Quelques associations s’inquiètent toutefois d’un manque de moyens pour pérenniser les actions dans certains établissements, et d’obstacles dans les zones rurales plus isolées.

Points de vigilance, enjeux et perspectives

Malgré l’engagement constaté, des défis persistent. Les ressources humaines, la formation continue, l’actualisation des outils pédagogiques, ou encore l’intégration des parents restent à consolider. L’addiction sans produit, notamment liée aux écrans, pousse à repenser les approches et à travailler main dans la main avec des partenaires issus de la protection de l’enfance, du sport, et des médias.

Par ailleurs, le contexte post-Covid a mis en lumière des fragilités psychologiques croissantes chez les collégiens, et un recours accru aux substances comme instrument d’anxiété. Cela a amené la région à déployer des cellules d’écoute psychologique plus systématiques dans les établissements.

  • De nouveaux programmes adaptés au public allophone ou aux collégiens en situation de handicap se mettent en place expérimentalement.
  • L’outil d’autodiagnostic « Toi+Moi », développé par l’IREPS, propose depuis 2022 un module disponible en ligne pour encourager l’auto-évaluation des comportements à risque chez les adolescents.

Si l’enjeu est immense et évolutif, la Normandie illustre combien la diversité des réponses locales, l’innovation et le dialogue entre acteurs restent les moteurs d’une prévention vivante, adaptée à chaque génération de collégiens.

Pour aller plus loin : ressources et contacts régionaux

Les évolutions de la prévention des addictions en collège sont à suivre de près. Elles annoncent autant de défis que d’opportunités à saisir pour renforcer un environnement scolaire protecteur et bienveillant pour tous les jeunes Normands.

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