Polyaddiction : de quoi parle-t-on ?

Le terme polyaddiction désigne la consommation problématique, souvent simultanée ou alternée, de plusieurs substances psychoactives (alcool, tabac, cannabis, médicaments, etc.), ou encore l’association entre addictions comportementales (jeux, écrans…) et consommation de substances. Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), environ 30 % des personnes suivies en addictologie sont concernées par la polyaddiction (OFDT). Ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, et touche des publics variés : adolescents, jeunes adultes, mais aussi personnes âgées ou en situation de précarité.

  • Exemple : Un adolescent alternant consommation d’alcool, cannabis et jeux vidéo excessifs ; une femme alliant anxiolytiques et alcool ; un homme combinant cigarettes, cocaïne et paris sportifs.

Cette pluralité des addictions pose des défis particuliers, aussi bien pour la compréhension que pour la prise en charge.

Pourquoi la polyaddiction complexifie-t-elle le parcours de soin ?

Multiplication des effets, des risques et des symptômes

Chaque substance ou comportement addictif a ses propres mécanismes d’action, ses effets sur la santé, ses risques de complications et ses symptômes de sevrage. Lorsqu’ils se combinent, ils se potentialisent ou interagissent, rendant le diagnostic plus difficile et la prise en charge moins lisible.

  • Les symptômes s’entremêlent : anxiété, troubles du sommeil, douleurs, troubles digestifs… certains sont dus à l’une ou l’autre des addictions, ou aux deux.
  • Le risque de complications médicales augmente : par exemple, alcool et benzodiazépines multiplient le risque de troubles cognitifs ou de dépression respiratoire (HAS).
  • Le sevrage peut être plus compliqué : arrêter une substance peut renforcer l’envie ou la consommation d’une autre.

Des profils et des histoires plus complexes

La polyaddiction ne se limite pas à la somme de plusieurs consommations. Elle reflète souvent une histoire de vie faite de vulnérabilités accumulées : troubles anxieux ou dépressifs, précarité, conflits familiaux, exclusion sociale…

  • 30 à 50 % des patients en soins addictologiques souffrent également d’un trouble psychiatrique associé (Addict’AIDE).
  • Les personnes polyaddictes expérimentent en moyenne leur première addiction à un âge plus précoce (adolescence ou jeune adulte) que les personnes monoaddictes.

Itinéraire de soins : un parcours souvent fragmenté

Dans le système de soin français, les parcours sont souvent construits autour d’une substance principale : alcoologie, tabacologie, prise en charge de l’héroïne ou du cannabis… Les personnes avec des polyaddictions risquent de « passer entre les mailles du filet ». Parfois, chaque service traite séparément un aspect du problème, alors qu’une approche globale serait nécessaire.

  • Une femme suivie pour son alcoolisme pourra voir son usage chronique de médicaments passer inaperçu.
  • Un jeune en consultation « cannabis » peut ne pas évoquer son recours simultané à des écrans ou aux jeux d’argent.

Les structures spécialisées (CSAPA, psychiatres, etc.) manquent parfois de coordination avec la médecine générale, la psychiatrie ou le secteur social. Selon un rapport de l’IGAS (2016), 40 % des usagers de substances addictives rencontrent des difficultés à accéder à un suivi réellement personnalisé (IGAS).

Des difficultés spécifiques à chaque étape

L’évaluation : le diagnostic, première marche parfois bancale

Repérer une polyaddiction ne va pas de soi. D’abord parce que la personne ne parle pas forcément de tous ses usages – par pudeur, par peur du regard, ou parce qu’elle n’identifie elle-même qu’un « problème majeur ». Ensuite, parce que les questionnaires utilisés en consultation se focalisent souvent sur une seule substance.

  • Le score AUDIT repère l’alcool ;
  • Le Fagerström concerne le tabac ;
  • Le CAST cible le cannabis ; etc.

Seuls certains outils récents, comme l’ODUA (Outil de Dépistage Universel des Addictions), proposent une approche plus transversale, mais ils restent trop peu utilisés.

L’accès au soin : plus d’obstacles et de freins

Les personnes concernées par la polyaddiction sont souvent confrontées à une accumulation de freins :

  • Multiplication des rendez-vous et interlocuteurs : alcoologue, tabacologue, psychologue, assistante sociale…
  • Sentiment de stigmatisation renforcé : « encore un problème », « je cumule les échecs », etc.
  • Complexité administrative : renouvellement des ordonnances, suivi social, accès aux soins spécialisés, etc.
  • Isolement accru : plus la polyconsommation s’installe, plus l’environnement social se dégrade (rupture familiale ou professionnelle, perte de logement, etc.).

Selon une étude menée par l’UCL (2021), 22 % des patients polyaddicts abandonnent leur suivi la première année, contre 11 % pour les addicts à une seule substance.

La prise en charge : une adaptation permanente

Soigner une polyaddiction suppose d’agir sur plusieurs fronts en même temps : réduction des consommations, accompagnement psychologique, soutien social, parfois orientation vers la psychiatrie. Les protocoles standards montrent rapidement leurs limites :

  • Un traitement de substitution pour opiacés pourra déstabiliser la consommation d’alcool ou de médicaments ;
  • Le travail motivationnel peut tirer sur des leviers contradictoires d’une addiction à l’autre ;
  • Chaque rechute est plus difficile à interpréter et à accompagner : où « agir » ? Prioriser l’un des usages ? Travailler sur tous ?

Les équipes spécialisées sont obligées de réévaluer en permanence leur stratégie. La coopération avec la psychiatrie est capitale pour prévenir et traiter des troubles associés, fréquents dans la polyaddiction.

Les impacts sur la relation de soin

La polyaddiction bouleverse aussi la relation entre le patient et les professionnels. Le travail de confiance est souvent plus long : la crainte d’être jugé, la honte et la peur de l’échec sont souvent exacerbées. Il arrive que la personne s’autocensure : elle veut avancer sur une addiction, mais n’ose pas évoquer les autres, par crainte d’être « disqualifiée » dans sa démarche.

  • Les soignants peuvent se sentir démunis, surtout face à des trajectoires faites de rechutes, de ruptures de soin, ou d’au moins trois substances consommées quotidiennement.
  • Certains ressentent un sentiment d’impuissance, ou d’épuisement professionnel (Fédération Addiction).

Pour instaurer une alliance thérapeutique, l’écoute active, la bienveillance et la reconnaissance des progrès, même minimes, sont essentiels.

L’exemple normand : réponses et innovations locales

La Normandie n’échappe pas au phénomène : selon l’ORS Normandie, près de 7 % des jeunes de 17 ans cumulent au moins deux usages à risque (alcool, cannabis, tabac), et cette proportion a doublé en dix ans (ORS Normandie).

Face à ces besoins, différentes initiatives émergent pour adapter l’offre de soins :

  • Création d’équipes mobiles d’addictologie, capables d’aller au-devant des publics les plus éloignés du soin.
  • Formation croisée des équipes en addictologie, psychiatrie, médecine générale et travail social.
  • Déploiement du programme IACA (Interventions d’Accompagnement et de Coordination en Addictologie), appuyé par l’ARS Normandie, visant la coordination des suivis et l’accompagnement global.
  • Groupes de parole spécifiques à la polyaddiction, pour mettre en lien les personnes concernées et briser l’isolement.

Quels leviers pour améliorer le parcours ?

Plusieurs pistes sont à renforcer pour simplifier et rendre plus efficace le parcours de soin dans la polyaddiction :

  • Favoriser le repérage précoce : Questionner plus systématiquement sur l’ensemble des consommations et comportements, sans hiérarchiser ni juger.
  • Soutenir la coordination des soins : Encourager les partenariats entre professionnels (ex : médecin généraliste, psychiatre, travailleur social), développer des « parcours partagés » centrés sur la personne et ses priorités.
  • Valoriser l’accompagnement global : Prendre en compte autant la santé physique, l’état psychique, que les dimensions sociales et familiales.
  • Impliquer l’entourage  : Famille, amis, réseaux de pairs jouent un rôle clé pour soutenir dans la durée.
  • Adapter les stratégies de prévention : Agir en amont sur l’éducation à la santé, le dépistage, et proposer des formations aux professionnels sur la polyaddiction.

Enfin, la lutte contre la stigmatisation doit rester au cœur de ces démarches. Reconnaître la complexité des situations, accompagner sans juger, et s’appuyer sur les ressources de chacun : ce sont là des leviers puissants pour améliorer l’accès au soin et soutenir l’engagement dans la durée.

Ressources et accompagnement en Normandie

Mieux comprendre les effets de la polyaddiction, c’est mieux armer chacun d’entre nous pour progresser dans la prévention et l’accompagnement. Si le parcours de soin est semé d’obstacles, il n’est jamais figé : chaque pas compte, chaque progrès est précieux.

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