Peut-on devenir dépendant à plusieurs substances ou comportements en même temps ?

Oui, il est tout à fait possible – et même fréquent – d’être concerné simultanément par plusieurs dépendances. En santé, la polyaddiction désigne la cohabitation de deux (ou plus) conduites addictives, qu’elles soient liées à des substances – alcool, tabac, cannabis, médicaments, cocaïne, etc. – ou à des comportements comme le jeu pathologique, l’usage problématique d’Internet ou le compulsif shopping.

Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), en 2022, près de 42% des personnes suivies en CSAPA (Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) présentaient une forme de polyaddiction, soit une augmentation notable ces cinq dernières années (source : OFDT).

  • Substances : leur effet addictif peut s’additionner, mais aussi se potentialiser ou se masquer l’un l’autre, créant un tableau clinique complexe.
  • Comportements : leur association peut servir de stratégie d’évitement, d’auto-médication ou de recherche d’intensité.

La polyaddiction peut concerner par exemple l’alcool et le cannabis, mais aussi le tabac et le jeu, ou encore l’utilisation simultanée de plusieurs substances licites et illicites, avec ou sans dépendance comportementale.

Repérer la polyaddiction chez un adolescent : des signes souvent discrets

Chez l’adolescent, la polyaddiction évolue fréquemment en silence. Plusieurs facteurs expliquent cette difficulté : recherche d’expériences nouvelles, banalisation de certaines consommations, mimétisme avec le groupe… Le repérage repose davantage sur l’observation de changements globaux de comportement que sur quelques symptômes isolés.

  • Isolement progressif : l’adolescent s’éloigne de ses activités habituelles et de certains proches.
  • Chute des résultats scolaires, absentéisme croissant.
  • Variations d’humeur : irritabilité ou euphories inhabituelles.
  • Changements physiques : fatigue persistante, yeux rouges, perte ou prise de poids inexpliquée.
  • Signes matériels : disparition d’objets, argent utilisé sans raison claire, matériel suspect retrouvé.
  • Cumul de consommations : présence de plusieurs substances (canettes d’alcool, blisters de médicaments, cigarettes, sachets, etc.), parfois associée à la pratique de jeux en ligne ou d’achats compulsifs.

Plusieurs enquêtes régionales montrent que la plupart des adolescents concernés débutent par une substance, mais que la co-consommation survient rapidement, souvent en réponse à des tensions familiales, scolaires ou à une humeur fragile (Enquête ESPAD 2019, OFDT).

Dépendances associées : quelles combinaisons observe-t-on le plus souvent ?

Certaines associations de dépendances sont particulièrement fréquentes, et comportent des risques spécifiques.

  • Alcool et tabac : ce duo reste le plus courant, notamment chez les jeunes adultes. Selon Santé Publique France, plus de 30% des consommateurs excessifs d’alcool sont également fumeurs quotidiens (Santé Publique France).
  • Alcool et cannabis : souvent sous-évaluée par les proches, cette association est à risque élevé d’accidents et de difficultés scolaires ou professionnelles.
  • Alcool ou cannabis et jeux vidéo en excès : la recherche d’évasion ou d’effets de stimulation renforce le risque d’isolement.
  • Tabac et psychostimulants : la nicotine est fréquemment utilisée comme “accompagnant” de la prise de substances comme la cocaïne.
  • Consommation croisée de médicaments (anxiolytiques, antidouleurs) et alcool, avec ou sans usage de drogues.

Chez certains publics (jeunes précaires, personnes en situation d’errance, etc.), on observe aussi la co-consommation d’alcool, de médicaments détournés et de substances illicites, ce qui rend la prise en charge encore plus difficile (rapport de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives, 2023).

Pourquoi la polyaddiction complexifie-t-elle le parcours de soin ?

Traiter une seule addiction est déjà un défi. Lorsqu’il s’agit de polyaddiction, la démarche devient beaucoup plus complexe, pour plusieurs raisons :

  • Effets croisés imprévisibles : une substance peut masquer, amplifier ou remplacer les effets de l’autre, empêchant de repérer les besoins réels.
  • Dépendances en cascade : l’arrêt de l’une peut “réactiver” une autre, ou entraîner un transfert de dépendance.
  • Multiplicité des symptômes de sevrage : les syndromes de manque sont plus intenses, plus longs, et plus dangereux quand plusieurs substances sont en jeu.
  • Adhésion au soin fragilisée : la complexité du parcours, la crainte du jugement, l’entourage parfois peu informé peuvent décourager la personne concernée.
  • Risque d’invisibilisation : certains comportements ou consommations sont d’abord considérés comme secondaires, retardant l’accès à un accompagnement adapté.

Le suivi nécessite donc des équipes pluridisciplinaires, un temps long, et une attention constante à la globalité de la situation.

Existe-t-il des profils plus à risque de polyaddiction ?

Plusieurs facteurs de vulnérabilité sont identifiés, mais il ne s’agit jamais de fatalité. Selon la Fédération Addiction et plusieurs études cliniques, on retrouve davantage de polyaddiction chez :

  • Personnes ayant des antécédents de troubles anxieux, dépressifs ou de traumatismes non résolus.
  • Jeunes victimes de violences ou de harcèlement scolaire.
  • Individus souffrant d’un déficit d’estime de soi ou de difficultés à gérer leurs émotions (“alexithymie”).
  • Personnes ayant des traits impulsifs ou une tendance au passage à l’acte rapide (exposition précoce aux jeux, sexualité à risque, etc.).
  • Enfants de parents eux-mêmes concernés par des addictions, souvent par mimétisme ou pour anesthésier des souffrances familiales.

Cependant, l’étiologie reste multifactorielle. Des facteurs génétiques, des environnements défavorisés, ou l’absence de soutien social jouent un rôle dans la survenue d’une pluralité d’addictions. Des enquêtes nationales soulignent que les jeunes en situation de précarité sociale, d’instabilité familiale ou visant à fuir l’ennui cumulent plus fréquemment les conduites addictives (INJEP, 2022).

Comment les professionnel·le·s évaluent-ils une situation de polyaddiction ?

L’évaluation médicale et psychosociale de la polyaddiction s’appuie sur plusieurs outils standardisés, mais surtout sur une approche globale et bienveillante. Lors d’un premier entretien, il s’agit de :

  • Recueillir un récit détaillé des consommations ou comportements addictifs, avec leur fréquence, leur ancienneté, leur contexte.
  • Rechercher les interactions entre substances/comportements : la personne consomme-t-elle pour se “poser” après un stimulant, ou pour “tenir” socialement ?
  • Employer des auto-questionnaires validés (ex : AUDIT pour l’alcool, Fagerström pour la nicotine, CAST pour le cannabis, ECRAN pour les écrans, etc.).
  • Dépister d’éventuels troubles psychiatriques associés (anxiété, dépression, troubles du comportement).
  • Impliquer les proches (avec accord), pour croiser les points de vue et mieux apprécier les conséquences sur la vie quotidienne.

L’objectif de cette évaluation : co-construire avec la personne un projet d’accompagnement qui tienne compte de l’ensemble de la problématique, sans hiérarchiser les souffrances.

Risques pour la santé physique et psychique de la polyconsommation

La polyconsommation expose à des risques majeurs, souvent sous-estimés par les usagers eux-mêmes :

  • Interactions toxiques : mélanger alcool, psychotropes et opiacés, par exemple, multiplie les risques de dépression respiratoire, d’overdose, d’accidents et de troubles cardiovasculaires (OFDT, 2021).
  • Comorbidités psychiatriques : les personnes concernées présentent des taux plus élevés de dépression majeure, d’anxiété chronique, de troubles psychotiques ou de comportements suicidaires (Inserm, 2019).
  • Aggravation du risque de rechute et de chronicisation : la stabilisation de l’une des dépendances reste précaire tant que l’autre n’est pas prise en compte.
  • Difficulté de repérage des complications somatiques : problèmes hépatiques, neurologiques, infectieux… favorisés par le cumul de substances.
  • Baisse de l’espérance de vie : selon l’OMS, la polyaddiction réduit la durée de vie de 10 à 15 ans en moyenne chez les sujets les plus précaires.

Accorder plus de place à la prévention : clés et limites face à la polyaddiction

Trop souvent, la prévention reste centrée sur une seule substance. Il est urgent de revoir cette approche pour prendre en compte la complexité réelle des usages. Les clés d’efficacité sont :

  • Précocité : intervenir avant que les consommations ne se croisent est crucial, par exemple dès le collège, avec un discours non moralisateur.
  • Déstigmatisation : promouvoir une parole sur les addictions qui soit ouverte et non culpabilisante.
  • Information globale : aborder neutralement les liens entre substances et comportements, leurs effets croisés, et leurs effets sur la santé mentale.
  • Soutien à la parentalité : donner des outils aux parents pour repérer et dialoguer, sans jugement ni dramatisation.
  • Promotion d’alternatives : favoriser les pratiques sportives, artistiques ou collectives susceptibles de donner du sens et du lien.

Selon l’Inserm (2021), les démarches préventives fondées sur l’empowerment, l’information adaptée et l’écoute active ont des effets pérennes, lorsqu’elles sont menées dans la durée.

Impact du contexte social sur la polyaddiction

Les inégalités sociales et territoriales jouent un rôle crucial. La polyaddiction ne “choisit” pas ses cibles, mais certains contextes sont propices à la constitution de dépendances multiples :

  • Précarité économique et sociale : une étude INSEE de 2023 confirme une sur-représentation de la polyaddiction en zone rurale, chez les jeunes en décrochage scolaire, mais aussi chez certains salariés précaires.
  • Isolement : les personnes sans réseau social, les migrants, ou les jeunes LGBTQ+ en rupture familiale présentent, selon plusieurs travaux, un risque accru.
  • Exposition répétée à la violence : violences intrafamiliales, communautaires ou conjugales augmentent la probabilité du cumul des dépendances.

Les politiques de prévention doivent donc impérativement tenir compte de ces déterminants sociaux, et renforcer l’accès aux soins pour les publics les plus vulnérables.

Vers un accompagnement adapté à la réalité de la polyaddiction

La prise en charge efficace passe par plusieurs principes :

  1. Individualisation : chaque parcours est unique, chaque histoire de dépendance demande une stratégie sur-mesure.
  2. Pluridisciplinarité : association des compétences médicales, psychologiques, sociales et éducatives.
  3. Temps long : le changement durable nécessite patience, confiance, et accompagnement continu.
  4. Aller vers : sortir du cadre exclusivement institutionnel et multiplier les points de contact (écoles, structures jeunesse, prévention dans la rue).
  5. Valorisation du rétablissement : mettre en avant les réussites, même partielles, pour renforcer la confiance en soi et la motivation au changement.

Beaucoup de structures en Normandie et ailleurs adaptent désormais leur accueil, pour que chaque personne concernée se sente reconnue et accompagnée dans sa globalité, sans être réduite à une “étiquette” de dépendance.

Avancer ensemble : sensibilisation, innovation et engagement local

La polyaddiction reste un défi majeur, mais pas une fatalité. Miser sur la prévention intégrée, le dialogue – et l’écoute de chaque vécu – tout en renforçant les réseaux locaux permettra, peu à peu, d’améliorer la prise en charge et d’offrir des perspectives concrètes d’accompagnement à toutes les personnes concernées.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter les ressources actualisées de l’OFDT, Santé Publique France, Inserm, Fédération Addiction et les acteurs du secteur médical et social en région Normandie.

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