Introduction : La polyaddiction, un défi aux multiples visages

Alcool, tabac, cannabis, écrans, psychotropes… Parfois, les conduites addictives s’additionnent et s’enchevêtrent. On parle alors de polyaddiction, une réalité qui pose des enjeux spécifiques en matière de prévention et d’accompagnement. Selon l’OFDT, près de 20 % des personnes usagères de substances en France cumulent au moins deux consommations problématiques dans l’année (source : OFDT, « Polyconsommation : définitions, concepts et données, 2021 »). Mais, au-delà des chiffres, existe-t-il des personnes plus vulnérables psychologiquement à ces multiplicités d’addictions ? Quels profils se retrouvent particulièrement exposés ? Tentons d’y voir clair sans idées reçues, et surtout, avec nuance.

Polyaddiction : de quoi parle-t-on exactement ?

Le terme polyaddiction regroupe le fait d’être dépendant, simultanément ou successivement, à plusieurs substances (alcool, tabac, médicaments, drogues illicites), ou à plusieurs comportements (jeux vidéo, jeux d’argent, achats, etc.). On distingue :

  • Polyconsommation : usage de plusieurs substances, sans nécessairement être dépendant à toutes.
  • Polyaddiction : véritables assuétudes croisées, chaque addiction aggravant l’autre.

On estime qu’une grande partie des personnes suivies en addictologie sont concernées par la polyaddiction. Par exemple, en 2022, plus de 60 % des prises en charge en CSAPA (Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) concernaient des personnes utilisant plusieurs produits (Source : Rapport CSAPA 2023). Comprendre les profils à risque de basculer dans ce type de parcours est donc une urgence de santé publique.

Existe-t-il un « profil type » ? L’importance de la nuance

Il serait tentant d'imaginer un « profil psychologique unique » qui prédirait la polyaddiction, mais les études montrent que la réalité est bien plus complexe. Les trajectoires sont multiples et les facteurs de risque se combinent sans qu’aucun ne soit systématiquement déterminant.

Cependant, certaines caractéristiques psychologiques se retrouvent plus fréquemment chez les personnes concernées, sans qu’elles ne doivent être perçues comme une fatalité.

Facteurs psychologiques associés à un risque accru de polyaddiction

1. Impulsivité et difficulté de régulation émotionnelle

  • Impulsivité : De nombreuses recherches, dont celle publiée dans « Addictive Behaviors Reports » (2017), soulignent que les personnes présentant un haut niveau d’impulsivité sont plus exposées à la polyconsommation. L’impulsivité facilite la prise de risques, l’expérimentation rapide de plusieurs substances et le passage d’un usage récréatif à répétitif.
  • Difficultés à gérer ses émotions : Les troubles de la régulation émotionnelle — c’est-à-dire la difficulté à identifier, exprimer ou apaiser ses émotions — constituent un terrain fertile pour développer des conduites addictives variées. Fuir le mal-être, l’angoisse ou la tristesse par différents produits ou comportements devient ainsi une stratégie compensatoire courante.

2. Troubles psychiatriques et comorbidités

Il est avéré que la présence de troubles psychiatriques (anxiété, dépression, troubles bipolaires, TDAH, troubles de la personnalité, etc.) augmente nettement le risque d’addictions multiples. Une méta-analyse de 2018 (source : « Journal of Dual Diagnosis ») observe que :

  • Les personnes dépressives cumulent trois fois plus de risques de consommer plusieurs substances par rapport à la population générale.
  • Les sujets avec un trouble anxieux généralisé ou un trouble obsessionnel-compulsif (TOC) présentent une prévalence accrue de polyaddictions (jusqu’à 45 % chez les sujets TDAH).

Cette liaison peut s’expliquer par la recherche d’un soulagement des symptômes psychiques par différentes voies.

3. Recherche de sensations fortes et besoin de nouveauté

Le trait psychologique appelé sensation seeking (ou recherche intense de stimulations/sensations) est très souvent retrouvé chez les polyconsommateurs, notamment chez les adolescents et jeunes adultes (source : European Addiction Research, 2020).

  • Envie de tester, explorer, varier les expériences : ce profil expose à la diversité des consommations.
  • Faible seuil d’ennui, recherche de plaisirs intenses : on observe davantage d’essais et de passages d’une substance à l’autre.

4. Faible estime de soi et isolement social

  • Estime de soi altérée : Chez certaines personnes, une image de soi dévalorisée ou un sentiment d’incompétence sociale vont favoriser le recours aux produits multiples « pour se sentir mieux, plus à l’aise, oublié·e ».
  • Isolement : L’absence de réseau de soutien ou un environnement perçu comme hostile renforcent la vulnérabilité.

5. Traumatisme et histoire de vie difficile

L’histoire individuelle influe également. Plusieurs études rappellent que les antécédents de traumatismes — violence, abus, négligence, rupture familiale — augmentent significativement le risque de polyaddiction ultérieure (source : INSERM, Expertise collective « Addiction et traumatismes », 2021).

Quelques chiffres-clés sur la polyaddiction et ses profils

Pour mieux apprécier la diversité des situations, voici quelques données récentes :

  • En population générale adulte française, 6,5 % des hommes et 5,1 % des femmes cumulent l’usage problématique d’au moins deux substances (OFDT, 2022).
  • Chez les jeunes de 18 à 25 ans, le taux grimpe à 12 %. Les profils les plus exposés sont les jeunes hommes, vivant en situation de précarité et signalant un mal-être psychologique.
  • Dans les établissements psychiatriques, un patient sur deux présente au moins deux addictions distinctes (source : Fédération Française d’Addictologie, 2022).

Les parcours de polyaddiction sont divers, mais ces données illustrent l’importance d’un repérage précoce des facteurs de vulnérabilité.

Des « profils » à risque… mais jamais des destins tout tracés

Même si certains traits psychologiques ou historiques augmentent la vulnérabilité, aucun ne constitue un déterminisme absolu. Il n’existe aucun test psychologique capable de « prédire » parfaitement un parcours de polyaddiction. Plusieurs facteurs de protection entrent en jeu :

  • Présence d’un environnement social soutenant (famille, amis, professionnel·le·s à l’écoute)
  • Développement de compétences psychosociales : apprendre à exprimer ses émotions, gérer son stress, oser demander de l’aide…
  • Accès à l’information et aux dispositifs de prévention : réduire la stigmatisation et favoriser le recours aux soins précocement.

Autrement dit, le risque n’est jamais le destin, et les parcours peuvent évoluer très favorablement lorsque l’entourage et la société sont présents pour soutenir, prévenir, et accompagner.

Comment agir ? Pistes de prévention et d’accompagnement

Les professionnels ont tout intérêt à croiser l’approche individuelle (psychologique), familiale et sociale dans la prévention des polyaddictions. Quelques leviers efficaces émergent des dernières recommandations HAS et Santé Publique France :

  • Repérage précoce des signes de mal-être psychique, d’isolement, de troubles de l’humeur ou de l’impulsivité.
  • Renforcer les compétences émotionnelles à l’école, dans les lieux de vie et de travail.
  • Travailler sur l’estime de soi et la confiance, surtout auprès des ados et des jeunes adultes.
  • Soutenir la formation des professionnels à la question des troubles associés (comorbidités) et à l'approche non jugeante.
  • Favoriser la prise en charge globale (psychologique, sociale, médicale) — l’addiction n’est pas une faiblesse, c’est une maladie qui s’accompagne.

L’un des outils ayant fait ses preuves auprès des jeunes, par exemple, est la mise en place d’ateliers sur la gestion du stress, ou la création d’espaces d’échange sur les émotions, dès le collège. Les témoignages d’anciens usagers peuvent aussi participer à déstigmatiser, tout en donnant la parole à la réalité vécue (source : Santé Publique France, « Addictions chez les jeunes : stratégies et méthodes de prévention », 2023).

Pour aller plus loin…

Finalement, la question des profils psychologiques à risque de polyaddiction appelle à sortir des stéréotypes. Elle implique d’aborder la vulnérabilité avec respect, d’outiller les personnes et leur entourage, et de promouvoir des environnements plus protecteurs. La prévention n’est jamais l’affaire d’une seule personne, elle se construit ensemble, dans l’écoute, la bienveillance et la solidarité.

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