Une reconnaissance internationale récente : pourquoi c’est un tournant

Longtemps perçu comme une simple passion ou un loisir intensif, le recours excessif aux jeux vidéo pose désormais de vraies questions de santé publique. Depuis 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît officiellement le « trouble du jeu vidéo » comme une pathologie, l’incluant dans la onzième édition de la Classification internationale des maladies (CIM-11). Ce tournant marque un changement de regard et d’approche, tant pour les professionnels que pour les familles et les utilisateurs.

Mais qu’est-ce que cela implique concrètement ? Sur quels critères repose cette définition ? Et comment distinguer passion, usage intensif et addiction ? Tour d’horizon des faits et des enjeux derrière cette reconnaissance.

Le trouble du jeu vidéo : de quoi parle-t-on au juste ?

Le trouble du jeu vidéo, ou « Gaming Disorder » dans la classification internationale (CIM-11), se définit par une perte de contrôle sur l’activité de jeu, une priorité donnée au jeu par rapport à d’autres intérêts et activités quotidiennes, et la poursuite de ce comportement malgré ses conséquences négatives sur la vie personnelle, sociale, scolaire ou professionnelle.

Selon l’OMS, ce trouble doit être d’une intensité telle qu’il entraîne une souffrance ou un impact significatif sur le fonctionnement dans plusieurs domaines de la vie. Attention : il ne s’agit pas d’étiqueter tous les joueurs assidus ! La distinction est claire entre le « geek » passionné et la personne véritablement en difficulté.

  • Perte de contrôle : Incapacité à réduire ou arrêter le temps passé à jouer, malgré les conséquences. Par exemple, jouer systématiquement toute la nuit, même avant des obligations importantes.
  • Priorité accrue : Les jeux vidéo prennent le pas sur les études, le travail, les loisirs sociaux, l’activité physique ou la vie familiale.
  • Poursuite du comportement : Le joueur continue à jouer de façon excessive, même en constatant un impact négatif sur sa vie (isolement, échec scolaire, perte d’emploi ou de liens sociaux).

Pour parler réellement d’addiction selon l’OMS, ces signaux doivent persister sur au moins 12 mois, sauf si les symptômes sont particulièrement sévères et immédiats.

Voir la fiche officielle de l’OMS sur le trouble du jeu vidéo.

Des chiffres pour comprendre l’ampleur du phénomène

La popularité exponentielle des jeux vidéo n’est plus à démontrer. En France, en 2023, près de 73% des 10-14 ans et 98% des 15-24 ans ont déclaré jouer régulièrement à des jeux vidéo (source : Baromètre SELL/ Médiamétrie). À l’échelle mondiale, on comptait plus de 3 milliards de joueurs en 2022 (source : Newzoo).

Mais faut-il pour autant s’inquiéter d’une « épidémie » ? Non. Selon la Haute autorité de santé, la prévalence du trouble du jeu vidéo reste faible : entre 1% et 4% des joueurs pourraient souffrir d’une forme d’addiction (HAS, 2020). Cette réalité touche surtout les adolescents et les jeunes hommes, mais des cas sont aussi signalés chez des adultes.

  • En France, une étude menée en 2021 estime qu’environ 3% des adolescents présentent un usage problématique, dont 1% répond aux critères cliniques du trouble (source : OFDT).
  • À l’international, des pays comme la Corée du Sud ont mis en place des politiques de prévention très tôt, dès les années 2000, face à des cas de jeunes hospitalisés pour « épuisement » après des séances de jeu de plusieurs jours.

Même si ces cas restent minoritaires, certaines situations extrêmes ont dramatisé la question (voir par exemple : affaire du jeune chinois décédé après une session marathon, BBC 2017).

Qu’est-ce qui différencie l’addiction au jeu vidéo d’une simple passion ?

Nombreux sont les parents inquiets, ou les joueurs qui se demandent : « Suis-je addict ? »

Le mot « addiction » implique qu’il ne s’agit plus d’un simple hobby, ni même d’un usage excessif passager, mais d’un trouble psychique affectant toute la vie de la personne. Dans le trouble, la recherche et la pratique du jeu prennent le dessus sur tous les autres aspects de la vie, et il devient impossible de reprendre le contrôle, même face à des conséquences négatives évidentes.

  • Contrôle altéré : La personne voudrait jouer moins, mais n’y parvient pas.
  • Signes de sevrage : Anxiété, irritabilité, voire dépression face à l’impossibilité de jouer.
  • Relations atteintes : Isolement social, conflits familiaux, baisse du niveau scolaire ou pertes d’emploi.

Chez le passionné, le jeu reste source de plaisir et s’intègre dans une vie équilibrée. Chez la personne souffrant du trouble, le jeu devient un refuge voire une obsession, qui entrave durablement la vie personnelle et sociale.

La reconnaissance comme addiction : qu’est-ce que cela change ?

L’inscription dans la CIM-11 correspond à une reconnaissance officielle, qui a plusieurs implications concrètes :

  • Pour la santé publique : Mieux identifier, prévenir et accompagner les personnes concernées. Cela permet d’orienter les familles, d’outiller les professionnels de première ligne, et de financer des actions spécifiques.
  • Pour les professionnels : Disposer de critères fiables pour diagnostiquer et adapter la prise en charge. Cela encourage également la recherche et le développement de nouveaux programmes de soutien.
  • Pour les familles et les proches : Reconnaître la difficulté vécue. Sortir de la culpabilité ou du déni, trouver des interlocuteurs et des ressources adaptées.
  • Pour les joueurs : Mieux comprendre ce qui relève d’une passion, d’un usage excessif ou d’une addiction et savoir quand chercher de l’aide.

Cette reconnaissance ouvre aussi la voie à des prises en charge spécifiques : consultations jeunes consommateurs, cliniques des addictions comportementales, outils pédagogiques dédiés, programmes de répit pour jeunes et familles (voir par exemple le dispositif AddictAide-Jeux vidéo).

Quelques facteurs de risque identifiés

Tous les joueurs ne développent pas de trouble. Certains terrains individuels ou contextuels augmentent cependant le risque :

  • Vulnérabilités psychologiques : trouble anxieux ou dépressif, estime de soi fragile, difficultés relationnelles.
  • Contexte familial : conflits, manque de repères ou de règles claires à la maison.
  • Contexte scolaire ou professionnel : harcèlement, décrochage, fragilité du lien social.
  • Recherche de performances, d’évasion ou de compétition : notamment dans les jeux en ligne avec objectifs de classement.

Le design même de certains jeux – récompenses immédiates, univers immersifs, boucles d’excitation, achats intégrés – est conçu pour maximiser l’engagement, ce qui peut favoriser les usages excessifs (source : INSERM, 2021 – Expertise sur les jeux vidéo).

Comment se manifeste l’addiction aux jeux vidéo ?

Les signes d’alerte sont souvent progressifs :

  1. Augmentation constante du temps de jeu, au détriment des autres activités.
  2. Irritabilité, tristesse, anxiété en dehors du jeu.
  3. Mensonges sur la durée passée à jouer.
  4. Chute des résultats scolaires ou problèmes professionnels.
  5. Retrait du cercle social et familial.
  6. Perte du plaisir à jouer, remplacé par un sentiment d’obligation ou de soulagement.

C’est la conjonction et la persistance de plusieurs de ces signes, et leur impact sur le quotidien, qui fait suspecter un trouble avéré.

Prévenir sans diaboliser : le juste équilibre

La reconnaissance du trouble du jeu vidéo ne doit pas conduire à la stigmatisation ni à la panique. Les jeux peuvent avoir des effets positifs : développement de réflexes cognitifs, créativité, sociabilité à distance… La prévention passe par l’information et l’échange, non par l’interdiction brutale, qui s’avère souvent contre-productive.

Quelques repères utiles pour un usage sain des jeux vidéo :

  • Encadrer le temps d’écran, en convenant ensemble de plages horaires, surtout chez les enfants et adolescents.
  • Favoriser la diversité des activités : sport, sorties, vie de famille, loisirs créatifs…
  • Dialoguer sans juger, en cherchant à comprendre l’intérêt suscité par le jeu. Pourquoi ce jeu ? Avec qui ? Pour quoi faire?
  • Être attentif aux signaux d’alerte, et ne pas hésiter à solliciter un professionnel si le mal-être s’installe.

Des campagnes de prévention existent, ainsi que des guides pour repérer les difficultés (voir le guide HAS ici).

Répondre, accompagner, innover : la Normandie mobilisée

En Normandie, comme dans d’autres régions, plusieurs structures se sont spécialisées dans les addictions comportementales. Les équipes des CSAPA (Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie), les PAEJ (Points Accueil Écoute Jeunes), ou les missions locales sont mobilisées pour accueillir, écouter, orienter.

Des initiatives innovantes voient aussi le jour : groupes d’entraide entre familles, ateliers sur le vivre avec le numérique, prévention sous forme de « serious games » en milieu scolaire, veille sur les nouvelles tendances de jeux et d’applications, etc.

Les réseaux locaux tissent un maillage précieux pour accompagner les parcours et proposer une prévention adaptée aux réalités de terrain.

Vers une prévention responsable et adaptée

La reconnaissance du trouble du jeu vidéo comme addiction révèle l’importance de conjuguer compréhension, vigilance et bienveillance. Cela ne signifie pas que le jeu vidéo est « dangereux » en soi, mais qu’il peut, dans certains contextes, devenir le symptôme d’un mal-être plus profond ou le déclencheur de difficultés majeures.

Rester à l’écoute, s’informer, dialoguer sans jugement, faire appel à l’entourage et aux professionnels en cas de besoin : ce sont les clés d’une prévention efficace, qui replace la personne au centre, sans jamais diaboliser ni minimiser le phénomène.

Pour aller plus loin, retrouvez les ressources évoquées dans l’article et n’hésitez pas à solliciter les structures régionales en cas de question. La prévention, c’est un pas de côté pour mieux avancer ensemble, face aux défis d’un monde numérique en constante évolution.

En savoir plus à ce sujet :